Rencontre avec Isabelle Saussol-Guignard
Le volet pédagogique des Rencontres d’Arles demeure largement méconnu du grand public. Ses programmes se destinent tant au monde éducatif (la Rentrée en Images), qu’aux familles (Ateliers jeune public), aux particuliers (l’application « L’atelier des photographes« ) comme aux professionnels (Rencontres professionnelles de l’éducation à l’Image). Les actions pédagogiques se révèlent nombreuses, d’autant que leur préparation se fait à la marge du calendrier dicté par l’organisation des expositions du festival. Ainsi, l’action du service pédagogique s’inscrit dans un temps long, se poursuivant d’année en année tout en rebondissant sur le programme de chaque édition, organisée autour d’un noyau central, deux personnes à l’année (Isabelle Saussol-Guignard et Marine Marion), pour s’étendre à trente personnes au moment fort de l’activité.
La spécificité du calendrier imposé au service pédagogique doit être détaillée. Isabelle Saussol-Guignard, responsable des projets pédagogiques, explique le décalage entre l’action du service pédagogique et le temps du festival par la nécessité de coller au rythme scolaire. Elle précise : « Le navire amiral du service pédagogique, c’est la Rentrée en Images. Notre calendrier se calque sur le public scolaire, non pas sur celui du festival. Nous nous attelons au programme à partir du mois de décembre, tout en contactant notre douzaine de partenaires (la Fondation Van Gogh, le Musée Arles Antique, etc.) ». En février suit l’organisation des différents ateliers et programmes tandis qu’en mars, la sortie du programme, sa validation par les partenaires et sa diffusion par différentes instances étatiques (rectorats, DGESCO) occupent le mois. En avril, les inscriptions des établissements et enseignants affluent, tandis qu’il est offert à chaque classe la possibilité de choisir entre plusieurs ateliers, visites, artistes. En mai, l’ensemble des visites est coordonné avec l’usage d’un grand tableau (voir illustration). Alors que l’organisation du festival bat son plein en juin avec le montage des expositions, le plus gros de l’organisation du service pédagogique a déjà été fait. Il faut attendre septembre, dans les derniers instants du festival, pour qu’enfin le travail établi en amont prenne forme.
Ainsi, la Rentrée en Images commence début septembre, dans les derniers instants du festival, alors même que les classes scolaires viennent tout juste de commencer l’année. Les amitiés entre élèves sont encore fraiches, le caractère collectif s’affirme avec timidité. Dès ses débuts, le positionnement de la Rentrée en Images a pu paraître problématique. Isabelle Saussol-Guignard nous confie : « Au départ, on nous disait « faire quelque chose dès la rentrée, c’est n’importe quoi ! Les enseignants prennent tout juste leurs classes en main, les gamins ne se connaissent pas. Ce fut l’effet inverse. Les enseignants avaient besoin de fédérer la classe, que le groupe fasse connaissance, que le départ soit donné d’un bon pied. ». La photographie permet aussi la convergence de besoins pratiques, dus aux rythmes scolaires. Un professeur d’art plastique dont les heures de cours demeurent assez réduites peut s’associer avec un professeur d’histoire géographie de façon à adjoindre des heures de leçons, tout en réunissant leurs compétences. Tout le monde y gagne, affirme la directrice du service pédagogique : « Les enseignants ne perdent pas d’heures de cours – ce qui pourrait être l’équivalent d’un mois d’enseignement par exemple – tandis que les élèves, notamment les lycéens, gagnent à se connaître ».
Alors que les passionnés de photographie, habitués et badauds découvrent principalement les expositions en juillet et août, « la rentrée en Images amène un public différent, à savoir les collégiens, lycéens et parfois d’enseignements supérieurs », précise Isabelle Saussol-Guignard. « Nous accueillons 330 – 340 classes. Certains établissements reviennent chaque année, d’autres une année sur deux. Le renouvellement est aussi permis par l’espace gigantesque du festival ». 800 à 900 élèves par jour visitent les expositions, accompagnés par vingt-cinq médiateurs environ. La formation de ces médiateurs prend trois semaines environ, entre fin août et septembre. L’équipe pédagogique se « questionne ouvertement sur les expositions, réfléchit sur la manière d’appréhender les expositions, fabrique les parcours », explicite Isabelle Saussol-Guignard.
Pour ces publics, des activités éphémères se montent. Ces activités ne marcheront que pour la Rentrée en Images. Pour le festival de Marseille, par exemple, la photographie se lie avec la danse. Avec le Musée Arles Antique, la photographie et l’archéologie s’assemblent. Avec les CAUE (Conseil Architecture Urbanisme Environnement), trois départements différents (Bouches-du-Rhône, Gard et Hérault) se mélangent pour une activité à chaque fois spécifique. La Rentrée en Images est le moment « important » du service pédagogique : « 10 000 élèves, c’est considérable. En termes de sécurité, de contenu, d’information, d’organisation. Mais aussi pour nous, dans notre pratique professionnelle. C’est le creuset de nos idées, de notre volonté de partager, comme un terrain de jeu. Certains professeurs connaissent en habitués, nous leur soumettons des propositions innovantes, nouvelles, à l’instar de cette proposition reliant archéologie et photographie avec le Musée Arles Antique. Un nouvel atelier est ainsi testé sur plusieurs milliers d’élèves, le modèle s’affine, nous pouvons le proposer une fois qu’il marche pleinement », avance la directrice du service pédagogique. Ce sont les élèves, les enseignants qui accordent la confiance, qui servent de « variables d’ajustements » afin de proposer un outil pédagogique fini.
La Rentrée en Images se finit chaque année avec les Journées professionnelles de l’éducation à l’image. Isabelle Saussol-Guignard nous explique : « trois jours pendant lesquels une moitié d’enseignants et une autre moitié disparate de gens (services des publics de musées, services sociaux, photographes) se rencontrent, autour d’ateliers. Le partage d’expérience fonctionne autour d’outils concrets, de questionnements. Concrètement, chacun se met dans la position d’élèves utilisant l’outil testé. Chacun apporte son idée dans l’espoir que chaque participant reparte le lendemain avec un outil à utiliser dans son établissement ». En sorte, ces Journées professionnelles servent à la fois d’évaluation et conclusion aux projets mis en place chaque année, tout en étant un laboratoire des initiatives à venir.
L’exemple du jeu Pause Prose photo
Il y a quatre ans, le service pédagogique des Rencontres d’Arles a mis sur pied un outil formidable, à utiliser dans les classes, centres sociaux, colonies autant que chez soi. Tout part d’un questionnement des enseignants, nous raconte Isabelle Saussol. « Plusieurs enseignants reviennent vers nous et nous confient : je ne sais pas quelles images utiliser une fois en classe. Les professeurs nous demandaient d’intervenir dans les classes. En recevant 340 classes, c’était tellement de demandes que nous ne pouvions pas y répondre. » Le travail premier du service pédagogique reste la présentation, l’explication des expositions. Mais le service cherchait à développer une « entrée propre », un outil universel, facilement maniable. Remportant un appel à projets lancé par le Ministre de la Jeunesse et des Sports, destiné à « favoriser l’autonomie des jeunes à travers les pratiques culturelles », nous avons recherché une forme favorisant l’autonomie du regard à travers la pratique culturelle de la photographie. Cette forme se concrétisa dans le jeu Pause, Photo, Prose.
Après deux ans de tâtonnements, d’expérimentations, de mises au point, le jeu prit sa forme finale. Il comprend un corpus de trente-deux images, permettant d’avoir « un champ d’exploration visuelle étendue, avec tous les cadrages, toutes les mouvances photographiques ». Le jeu s’articule en plusieurs manches : 1. la restitution d’une image (mime, voix, dessin) 2. Un jeu de questions/réponses autour de la parole du photographe. 3. la diffusion de la photographie et sa réutilisation.
Le jeu est modulable selon les questions traitées (plongée, contre-plongée), les thèmes (la mondialisation par exemple). Il permet surtout à tous de vivre la photographie « de manière différente, de se le réapproprier par le sensible et l’intellect. On manque parfois de mots face aux photos, ce jeu permet de restituer autrement les sensations devant une photographie ». La troisième étape permet aussi aux joueurs, aux élèves, de s’interroger sur la réutilisation de nos images dans la contemporanéité, de voir comment une image peut servir différents médiums, d’interroger l’intention de sa réutilisation, son passage dans l’iconographie contemporaine. Le souhait d’interroger l’essence de l’image est au cœur du processus, de façon à envisager autrement les images de nos quotidiens.
Pause, Photo, Prose est utilisé par 800 établissements en France. Dernièrement, la Fédération Léo Lagrange a équipé une cinquantaine de lieux sur tout le territoire.
Méthode de travail et financement
Détaillons un instant la méthode choisie par le service pédagogique pour déployer ses outils. Ces outils se construisent sur un mode participatif. Pour la Rentrée en Images notamment, « nous ne partons que du plaisir du spectateur », atteste Isabelle Saussol-Guignard. Les trames sont adaptées au plaisir de chacun, en fonction de sa participation, de son état d’esprit. « Pourquoi ne ferait-on pas des choses légères avec les adultes, dans la détente, la discussion, et à l’inverse, des discussions plus soutenues et exigeantes avec les plus jeunes ? Tout cela peut difficilement être prévu à l’avance. On ne peut savoir dans quel état va arriver un groupe. » Il faut aviser, jauger, adapter son discours.
Un outil comme le jeu Pause, Photo, Prose compte environ deux années de production. Il nécessite des réajustements minimes, un travail par couches successives. Ainsi Pause, Photo, Prose fut d’abord testé dans des ludothèques, puis conseillé et encadré par un laboratoire de sociologie avant d’être validé par un comité de pilotage composé des ministères de la Culture et de la Jeunesse du rectorat de l’académie d’Aix Marseille, de la DRAC et des collectivités territoriales. De même, la plateforme et application « L’atelier des photographes » réunit à juste titre des photographes, mais aussi des programmeurs, des enseignants et des élèves ; chacun testant le jeu et apportant ses conseils ses ajustements, de manière à améliorer le produit en cours de route.
À l’image des structures culturelles d’aujourd’hui, des scènes nationales, des théâtres comme des musées, les Rencontres d’Arles superposent les financements nationaux. La DRAC, le Ministère de l’Éducation et de la Jeunesse, le Ministère de la Culture, puis les différentes échelles géographiques : la Région, le Département, la Mairie. Parfois, des démarches auprès de Fondation ou acteurs hors secteur de la culture viennent ponctuer ces sources multiples de financement sur des projets précis. Ce fut le cas par le passé avec la Fondation France Télévision.
La Fondation Daniel et Nina Carasso participe pour 2 années à l’équipement et la formation du Jeu Pause Photo Prose des équipes de la Protection Judiciaire de la Jeunesse sur toute la région PACA. Le jeu est animé en milieu ouvert ou fermé auprès des jeunes dans le cadre des ateliers éducatifs.
Les ministères et les collectivités sont très fidèles dans leur financement, façonnés par la démocratisation culturelle. Isabelle Saussol-Guignard nous expose leur manière de penser : « Ils financent un grand festival, et nous aident à ce qu’il soit accessible à tous les publics ».
« Une Fondation nous accompagne également depuis 2011 dans l’élaboration des outils innovants : la Fondation d’entreprise TOTAL. C’est une marque de confiance qui impulse une dynamique de projet très stimulante. »
Publics et retours sur service
« Le spectre va de Nice à Bordeaux, parfois jusqu’à Lyon. Il est plus compliqué d’attirer des groupes au-delà. Les écoles de Paris et d’autres régions du ‘Nord de la France’ notamment. Certains programmes sur deux jours attirent toutefois ces écoles. Cette année, un groupe scolaire corse viendra nous visiter deux jours ». Les écoles primaires viennent principalement d’Arles.
Peu connu du grand public, le service pédagogique est très prisé du monde éducationnel. « Certains professeurs nous confient avoir eu des retours d’élèves utilisant nos exemples photographiques, nos enseignements, comme arguments à l’oral du brevet d’histoire des arts, en fin d’année. C’est pour nous gratifiant ! Qu’ils aillent chercher un exemple datant de six à huit mois avant montre que tout cela est resté ! », se félicite Isabelle Saussol-Guignard.
La présence des photographes est aussi à souligner. Les artistes sont au cœur des projets. « L’échange est permanent, autour de projets, demandant des informations, des textes autour de leurs photographies. » Les photographes contribuent avec plaisir, grâce aussi au capital-confiance qu’inspirent les Rencontres d’Arles. Les photographes ont confiance. Et Isabelle Saussol-Guignard de conclure : « on a un capital sympathie et respect, les auteurs photographes sont très attachés à ce festival. Arles est toujours un bon moment pour eux, et ils nous le rendent bien ».
INFORMATIONS
Rencontres d’Arles
Du 4 juillet au 25 septembre 2016
13200 Arles
France
http://www.rencontres-arles.com