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Émotions au Lycée des Jeunes Filles lors des Rencontres de Bamako 2019

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L’exposition qui s’est inaugurée le dimanche 2 décembre 2019 au Lycée des Jeunes Filles Ba Aminata Diallo fût un des temps fort de cette semaine d’ouverture. Le lieu d’exposition étant à l’intérieur de l’enceinte du lycée, des centaines de jeunes filles ont pu assister à la cérémonie d’ouverture.

Il était vivifiant, peut-être même émouvant, de voir dans une même pièce des membres de la scène artistique internationale se mêler allègrement à toutes ces jeunes filles dans des effusions de joie, d’excitation, et de curiosité.  Notamment quand l’on sait grâce au discours du délégué général des Rencontres de Bamako, Igo Diarra, que l’espace qui sert aujourd’hui de lieu d’exposition était, plusieurs années auparavant, le réfectoire où venait manger sa mère quand elle était elle-même élève au lycée.

Se photographiant inlassablement devant les images exposées et avec les visiteurs venus spécialement pour le vernissage de l’exposition, l’excitation était perceptible chez les jeunes filles. En investissant ce lieu, l’équipe curatoriale a souhaité mettre la lumière sur les artistes exposés mais également sur les jeunes élèves et le futur qu’elles incarnent pour le Mali. Comme le dit pertinemment la co-commissaire Astrid Sokona Lepoultier « Si les jeunes ne viennent pas aux Rencontres, alors c’est aux Rencontres d’aller vers eux ».

Le bonheur et la fierté palpables chez ses jeunes filles à l’ouverture de l’exposition au sein de leur établissement est de bon augure pour le développement d’un intérêt pour l’art et la photographie et pour faire potentiellement naitre des vocations chez certaines. Je me rappelle de l’une d’entre elles, qui, fascinée par les images, lisait un à un chacun des cartels qui accompagnaient les œuvres exposées puis qui prenait minutieusement en photo d’abord l’image présentée, puis le cartel s’y référant, pour ne rien louper et être sûre de garder des traces.

L’exposition rassemble les travaux de Nirveda Alleck, de Dickonet, d’Halima Haruna, du collectif Iliso Labantu, de Rahima Gambo, de Guy Wouété, d’Harun Morrison & Helen Walker et de Santiago Mostyn, ainsi que le projet spécial de Fatima Bocoum intitulé Musow Ka Touma Sera (« C’est L’Ère des Femmes »). Ce dernier présente les photographies de 6 artistes maliennes à savoir Fatoumata Diabaté, Amsatou Diallo, Fatoumata Diallo, Fanta Diarra, Oumou Traoré et Kani Sissoko, amenant son lot de réflexions et de clés pour ouvrir un dialogue avec ses jeunes filles.

En effet, un vaste panel de sujets était abordé à travers les œuvres sélectionnées pour établir un contenu didactique et promouvoir la réflexion, particulièrement dans la période compliquée que peut représenter l’adolescence. Les œuvres présentées deviennent de véritables outils de réflexion pour les professeurs et les jeunes filles du lycée.

Par exemple la question de la mémoire, et celle de comment prendre la relève face à des événements tragiques abordée par Rahima Gambo dans son œuvre, A Walk, qu’elle a conçue à la suite des attentats-suicides à la bombe perpétrés au nord-est du Nigéria à l’université de Maiduguri en 2017. Mais aussi les questions de l’expression et du langage et l’idée de donner voix aux non-dits en utilisant le mystère se retrouvent dans la vidéo, Breathe, de Nirveda Alleck et de Katia Bourdarel.

L’importance du collectif et les notions de partage, de vivre ensemble et de création de synergies qui s’y rattachent apparaissent dans les travaux du collectif Iliso Labantu. Ce collectif originaire d’Afrique du Sud est parti du postulat que rares étaient les photos des townships qui prises par les habitants des townships eux-mêmes et a souhaité y remédier en « formant des habitants à utiliser la photographie comme un outil pour documenter leur vie et pour pouvoir entamer une carrière durable en tant que photographes professionnels dans les townships au Cap ».

Sous un autre angle, l’idée du collectif était aussi abordée par l’exposition Musow Ka Touma Sera (« C’est L’Ère des Femmes »), l’une des expositions gagnantes de l’appel à projet de l’organisation apexart, dans laquelle les travaux de 6 artistes femmes maliennes venaient s’unir pour dénoncer le principe de la Sutura, une norme culturelle tacite qui prépare psychologiquement les femmes et les filles à dissimuler, à pardonner et à supporter leurs souffrances. Cette exposition a toute sa place au sein d’un lycée de jeunes filles, pour les inviter à réfléchir sur leur féminité, pour qu’elle puisse la défendre et la revendiquer mais aussi pour qu’elle ne soit pas effrayées par la prise de parole et la prise de pouvoir. Fatima Bocoum, commissaire de l’exposition a pensé cette exposition pour « briser les normes culturelles restrictives qui régissent la vie des femmes au Mali » et pour que « la féminité ne soit plus synonyme de tolérer la douleur mais plutôt de la capacité à se battre pour la justice et l’égalité où il se doit et malgré l’adversité. » Pour elle la solution réside dans « un féminisme dépouillé de toutes ambiguïtés et de tout relativisme culturel. »

La notion d’identité est également plusieurs fois abordée, par exemple avec le travail de Santiago Mostyn et son film Altarpieece, qui prend en compte « la fragilité et le potentiel du corps noir dans deux espaces politiques distincts: le capitalisme tardif aux États-Unis et le populisme postcolonial en Afrique australe et dans les Caraïbes » ou bien Guy Woueté qui dans sa série Terre & Visages, ouvre une « réflexion sur l’iconographie exotique et la perpétuation des stéréotypes produits dans le cadre des missions civilisatrices justifiant la colonisation et autres invasions. Comment peut-on créer sa propre image quand celle-ci nous est imposée par un regard colonisateur. ». Un sujet qu’il est important d’aborder avec les jeunes adolescentes qui construisent leur identité.

Mais également le rapport de l’Homme à la Terre, à l’environnement et à ses ancêtres comme dans la vidéo Other Side of the Creek, de la jeune artiste Halima Haruna, « une para-fiction de l’industrie pétrochimique au Nigéria à travers la découverte et la réappropriation du soi spirituel. ». Il y a également la malienne Dickonet qui présente la vidéo Djoliba, Fleuve Niger, dont le discours porte sur l’importance du respect de l’environnement et en particulier du fleuve Niger, un fleuve nourricier pour le pays depuis toujours.

Pour conclure, les réactions débordantes d’enthousiasme et de curiosité que j’ai pu constater lors du vernissage de l’exposition sont un signe très prometteur d’un intérêt fort de la part des jeunes filles vis-à-vis des Rencontres de Bamako. C’est en particulier au Lycée des Jeunes de Filles Ba Aminata Diallo que la biennale africaine de photographie semble avoir pris tout son sens.

Anna Reverdy

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