Mis en place en 2005 pour lutter contre la menace terroriste, le Control Order est un système complexe de restrictions reposant sur une limitation extrême des mouvements d’un sujet allant jusqu’à l’aseptisation de sa sphère privée. L’ouvrage suit la confrontation du photographe avec cette réalité, en commençant par la reproduction neutre des conditions de rétention prévues par l’acte de prévention du terrorisme au Royaume-Uni. Accumulées, ces vingt pages installent un malaise claustrophobique que confirment les différents échanges entre le photographe et le ministère de l’Intérieur. Viennent ensuite les images, quelque 500 vignettes qui recouvrent les pages à la manière des cahiers de Pantone et permettent de suivre son exploration du lieu d’habitation. Chaque photographie est associée au nom du fichier Jpeg attribué automatiquement par l’appareil, et tous les chiffres se succèdent froidement, suivant sans éditing a posteriori la découverte de cet environnement clos par le photographe. A la curiosité des débuts, incitant Edmund Clark à étudier minutieusement les lieux et à multiplier les points de vue, fait place un ennui irrépressible. Il revient dans les mêmes pièces, qu’il ne sait plus comment photographier, cherche les indices d’une vie, d’une fantaisie qui viendrait rompre cet ordre imposé. La majorité des pièces ne semblent pas habitées, avec leurs cartons toujours emballés, leurs lits dénudés et leurs murs vierges. C’est alors que sont publiées les pages du journal de la personne surveillée, chroniques d’un quotidien fait de répétition et d’inactivité, d’isolement forcé dans un périmètre réduit, suivant les déplacements du sujet heure après heure. Graduellement, le livre traduit ainsi l’oppressant manque d’individualité d’un espace vidé de liberté. Il alterne papier glacé, pour les photos, papier mat pour les lettres de correspondance, papier a ligne pour le journal écrit et feuille bleue des documents administratifs pour le reste. C’est sur ce dernier qu’est imprimé le plan de la maison, vaste demeure de 3 chambres et 2 salons dont, même avec femme et enfants, le sujet n’utilise qu’une partie. On lit dans son journal : « La cuisine est assez vaste pour qu’en poussant la table les enfants puissent y faire du vélo. » Ces indices d’une intimité, dans lesquels on lit en filigranes les émotions que la personne contrôlée n’a pas le droit d’exprimer explicitement, traduisent l’absurdité de ce système carcéral. Tout devient alors symbolique, comme le papier peint qui, photographié en très gros plan et en noir et blanc, reproduit un ordre apparemment strict, alignant ses motifs répétitifs et ses lignes symétriques dans un ensemble abstrait qui évoque les photographies militaires aériennes réalisées pour surveiller l’activité éventuelle des espaces désertiques. Ce n’est qu’un ordre apparent, qu’une éraflure vient perturber. L’aléatoire s’invite subrepticement, comme dans les mouvements de l’imprimé crépi d’une autre tapisserie, comme dans la vie de la personne contrôlée. En lisant les 139 articles du jugement, publiée en fin d’ouvrage, on se rend compte des paradoxes du système, de son aberration, de son impossible mise en place stricte. Le livre est donc autant une revendication politique que plastique.
Laurence Cornet
LIVRE
Control Order House
Texte et photographies d’Edmund Clark
Editions : Here Press
128 pages
53 euros
ISBN: 978-0-9574724-0-2.