Pierre de Vallombreuse suit depuis plus de 32 ans une ethnie Palawan, dans le sud des Philippines. Il documente tous les changements dans cette tribu autrefois isolée. La fragile Vallée et ses habitants, dont il parle la langue, ont vu le monde extérieur s’inviter dans leur vie en créant de profonds bouleversements. L’avenir de la communauté est une fois de plus en danger. Une œuvre rare, pas encore achevée, réalisée dans un laps de temps unique. Voici son texte :
Sur l’île de Palawan, au Sud-Ouest des Philippines, nichée dans la montagne, à cinq heures de marche de la côte existe La Vallée, d’une beauté rare.
Deux cent personnes environ y vivent, ils ont pour nom les Tau’t Batu.
Agriculteurs, chasseurs cueilleurs, doux moqueurs, égalitaires, anarchistes, pacifiques. Leur culture et l’équilibre écologique de leur environnement soumis aux bouleversements sociaux et économiques sont menacés
Mon histoire s’inscrit au creux de la vallée.
La villa de mes parents, ma maison natale, s’appelait Baghera, du nom de la panthère noire du livre de Kipling.
Comme une prédestination.
Plus tard je serai Mowgli.
Je n’avais pas encore trouvé une jungle où naître. L’île de Palawan au sud des Philippines me l’offrit.
1988, je rencontre les Tau’t Batu, un groupe de l’ethnie Palawan,
vivant en quasi autarcie dans une vallée oubliée, perdue au cœur dans la jungle. Je devins Mowgli.
Je raconte La Vallée depuis 33 ans.
21 voyages, quatre années de vie avec les Tau’t Batu dont j’ai appris la langue.
En 1988, lors de mon premier voyage, il n’y avait pas de route.
C’était un lieu si isolé qu’il semblait « hors du temps » et vivait au rythme des moussons et des cycles imposés par l’agriculture sur brûlis.
C’était un temps poétique.
1990, tout bascule. Après six mois dans La Vallée, en rejoignant la côte, j’ai vu les bulldozers éventrer la forêt.
Désormais la route arrivait dans le sud de l’île.
Avec elle, un afflux irréversible de migrants, des milliers,
venus de tout l’archipel s’accaparant à vil prix,
de vastes parties des terres Palawan y développant rizières et plantations. La dégradation de l’environnement commença.
Malgré moi, je devins le témoin de l’intrusion progressive, irrémédiable et irréversible d’un monde qui allait tout changer.
Le temps de l’engagement, était venu.
N’ayant pas eu le courage d’assister à la destruction que je lui promettais, je l’ai abandonnée pour aller témoigner des situations tragiques que vivent d’autres peuples premiers dans le monde entier.
Génocides, guerres, déforestations, catastrophes environnementales, expropriations, acculturations, ont défilé sous mon objectif avec toujours La Vallée au fond du cœur et la rage de témoigner.
Puis un jour, à la mort de mon père en 2009 j’ai eu un besoin vital de renouer avec La Vallée.
Je l’ai retrouvée après quinze années d’absence, elle avait mieux résisté que je ne le pensais et avait assez bien gardé son identité.
Une grande partie des convertis au christianisme étaient revenus à leurs croyances traditionnelles. Les Shamans ont du travail.
Hélas, gangrène incontrôlée, les plantations de palmiers à huile, cannibalisent les terres traditionnelles des Palawans.
Ces dernières années, La Vallée est de nouveau en grand danger.
Des spéculateurs véreux veulent faire main basse sur les terres pour y planter du cacao et des palmiers à huile, ce qui porterait atteinte à leurs moyens de subsistance, à leur autonomie et détruirait un écosystème unique.
Le mode de vie des Tau’t Batu se transforme à une vitesse fulgurante, par l’intrusion de plus en plus forte de l’administration et des missionnaires. Exode saisonnier, précarité, acculturation.
De plus en plus dépendant d’un mode économique mondialisé, leur mode de vie ancestral ne répond plus à leurs besoins.
Autrefois riches et libres de leur autonomie culturelle et alimentaire, ils sont en danger comme tant d’autres communautés autochtones dans le monde.
La Vallée est de nouveau à un moment critique de son histoire.
Pierre de Vallombreuse
Pierre de Vallombreuse : Lost Grace
Impression risographique
Reliure souple – 210 x 297 mm – 36 pages
Édition limitée à 100 exemplaires
Concepteur du livre : Thibault Geffroy
Éditions Bessard – 2022
https://editionsbessard.com/