Prolonger les hésitations par Sean Sheehan
Le dernier livre de photographies de Hannah Modigh, Delta, a un design distinctif digne d’une édition limitée à 500 exemplaires et qui comprend un tirage C signé. Le titre du livre n’apparaît pas sur le dos et les couvertures rigides ressemblent à de petites pièces, minces de bois verni (14,5 x 30 cm). La solidité et l’intransigeance suggérées par la conception du livre contrastent fortement avec le sentiment d’impermanence et d’imminence qui imprègne les photographies.
Il y a un contexte personnel pour Delta, la mort d’un grand-parent de Modigh suivi une quinzaine de jours après par la naissance de son enfant, ce qui permet d’expliquer le sens particulier de la temporalité que cette œuvre semble s’efforcer d’incarner. Les images existent au futur parfait, des indications de ce qui est à venir, des formes qui seront complétées à un moment futur encore à préciser; des débuts sans séquelles. Si leur accueil reste à déterminer, elles ne peuvent pas être prédites de manière exhaustive et l’espace d’espoir reste donc ouvert. Cela se voit sur les photos de femmes enceintes et, par exemple, sur une table de jardin avec ses quatre chaises inoccupées. D’autres images, celles des mourants, ne suggèrent pas d’espoir. Certains des cours d’eau d’un delta n’atteignent jamais la mer; condamnés à perdre leur identité individuelle dans un sédiment amorphe et matériel.
À ce stade futur, lorsque l’imminence cède la place à l’événement, ce qui fait partie de l’espace privé de Delta entre dans un domaine publique et rejoint un monde plus vaste. Dans son œuvre antérieure, Hurricane Season (2016), Modigh montre que le présent phénoménologique est perceptible dans le domaine social et politique plus large, mais dans Delta il n’y a pas de présence réelle, le performatif n’a pas encore inscrit et ce qui est vu reste enveloppé dans un une intimité qui n’est pas toujours accessible au spectateur; les rendant, pour ainsi dire, intraduisibles. Le sens qui émerge est anhistorique et universel.
Un certain nombre d’images sont énigmatiques: des pelles à poussière accrochées à une clôture; deux chiens couchés ensemble; un seau en plastique au pied d’un tronc d’arbre; un panier à linge sur un rebord de fenêtre. D’autres ont une obscurité et une lourdeur qui, loin d’indiquer une future entrée dans la lumière, annoncent une résistance à la visibilité, un manque de clarté; suites sans commencement. Un aphorisme d’Héraclite, “La nature aime se cacher”, semble applicable aux images d’arbres et de fleurs réparties sur deux pages du livre.
Modigh écrit “à la recherche de traces qui dépeignent la présence d’une absence… que la vie est sur le point de percer, et où la fin d’une vie se fait sentir, qui portent une charge, comme une hésitation prolongée”.
Delta par Hannah Modigh est publiée par Éditions Bessard.