L’Académie de peinture de la Grande Chaumière, les cafés du Dôme, la Rotonde et la Coupole, les ateliers d’artistes où posaient des nus, le boulevard Edgar Quinet et les boîtes de jazz ; c’est au cœur de Montparnasse qu’Émile Savitry a entamé sa carrière de peintre, développé celle de photographe, fréquenté ses amis sculpteurs, peintres, poètes, musiciens, c’est là que ce talentueux touche-à-tout qui « avait plus d’une corde à son art » vécut toute sa vie.
Son oeuvre ravive « les heures chaudes de Montparnasse », cette ébullition artistique et amicale qui prenait racine dans l’atmosphère enfumée des cafés du carrefour Vavin. On y voit Alberto Giacometti, Victor Brauner, Anton Prinner que Savitry photographia dans l’intimité de leurs ateliers, Samuel Granowski qu’il saisit au zinc de la Rotonde, Jacques Prévert qu’il rencontre avec son frère Pierre à l’époque du groupe Octobre lorsqu’il revient d’un long périple en Polynésie. Il y avait fui un succès trop vite acquis et qui l’effrayait lors de sa première exposition de peinture à la galerie Zborowski en 1929.
C’est à son retour des îles du Pacifique qu’il fait la connaissance de Django Reinhardt sur le port de Toulon, offrant le gîte et le couvert au guitariste manouche encore inconnu et lui révèle la musique de Duke Ellington et Louis Armstrong. La famille Reinhardt rejoindra bientôt Savitry à Paris et trouvera refuge quelque temps dans le bel appartement du photographe, boulevard Edgar Quinet, des photos touchantes en témoignent.
Cette exposition reflète l’atmosphère du Paris des années 1930 à 1950 et le parcours d’un photographe proche des surréalistes où des lumières drues éclairent des visages de masque, leetit peuple de Pigalle croise la jeunesse jazzy des caves de Saint-Germain-des-Près, les rues de la capitale prennent des allures de décors de cinéma. Ce cinéma en noir et blanc magnifié par Marcel Carné et Jacques Prévert que Savitry accompagnera sur les tournages faisant surgir « l’éblouissante clarté » des Portes de la nuit et la beauté mélancolique d’Anouk Aimée dans La Fleur de l’âge, film maudit et inachevé, tourné à Belle-Ile-en-Mer en 1947, dont les photographies demeurent le seul témoignage visuel à ce jour, les bobines ayant mystérieusement disparu.
Elle nous imprègne de ce réalisme poétique que Savitry partageait avec Brassaï, Willy Ronis et
Robert Doisneau avec qui il fit équipe au sein de l’agence Rapho. Elle nous rappelle à chaque silhouette de ces nus aux galbes harmonieux que le photographe Savitry n’a jamais abandonné les thèmes chers au peintre qu’il demeure. Elle nous remémore que les préoccupations des artistes de cette époque avaient partie liée avec l’histoire de leur temps ainsi la guerre d’Espagne s’invite dans cet ensemble. Savitry-reporter témoigne de cet événement pour la presse française illustrée. Pablo Neruda, de retour d’Espagne après la victoire de Franco, ici photographié à la Coupole en compagnie de Paul Grimault et quelques amis latino-américains était un des témoins de l’Espagne républicaine qu’il avait toujours soutenu.
Et sur un ton badin elle se termine avec l’envol de Charlie Chaplin et des marionnettes d’Yves Joly, élégante et légère révérence d’un photographe discret trop vivant pour se vouloir artiste » comme l’écrivait Claude Roy.
Sophie Malexis, Journaliste et commissaire d’expositions.
EXPOSITION
Emile Savitry (1903-1967), un photographe de Montparnasse
Exposition du 17 juin au 20 décembre 2015
Musée Géo-Charles
1, rue Géo-Charles
38130 Échirolles
T 04 76 22 58 63