Chronique Mensuelle de Thierry Maindrault
« … les œuvres originales du photographe, comme celles des autres photographes, ont droit à la protection du droit d’auteur, même contre des artistes célèbres. »
Cette déclaration de la juge Sonia Sotomayor, juge à la Cour Suprême des Etats Unis d’Amérique, reprise par une multitude de médias du monde entier, est sans équivoque. Il est clair, après une décision antérieure de la Cour de Cassation française (affaire hoirie de Jean François Bauret contre Jeff Koons), puis cette décision de la Cour Suprême américaine (jugement Lynn Goldsmith contre la fondation Andy Warhol) que les relations entre les droits d’auteurs et l’usage des œuvres s’imposent juridiquement.
Petite piqûre de rappel, pas inutile, au regard de ce que j’entends régulièrement. Les productions intellectuelles qui se concrétisent matériellement, de façons unitaires ou multiples, sont protégées, par la société, à deux titres.
En priorité les droits moraux, si souvent négligés par les auteurs et bafoués par des utilisateurs, a minima incultes, au-delà escrocs. Ces droits-là sont inaliénables et sans aucune limite temporelle. Toute sa vie, un auteur peut refuser les divers usages qui lui sont proposés pour son œuvre (avec ou sans transformation). Sa vie durant l’auteur reste le seul décideur possible et incontournable. Après son décès, les droits moraux reviennent aux héritiers et autres ayants droits qui avec le temps peuvent se substituer divers groupements de défense des volontés posthumes ou supposées de l’auteur. Cette évolution vers une défense « morale » collective intervient généralement lorsque les œuvres entrent dans le domaine public.
Le second volet de la protection reconnue par de nombreuses Lois, à travers le Monde, concerne les usages matériels variés qui sont faits à partir de l’œuvre. Si l’auteur donne des autorisations variées de reproductions, de publications, d’utilisations commerciales de ses œuvres, il peut en retirer, voire en exiger, des profits. Il s’agit de la longue liste des droits économiques négociables avec les utilisateurs, en fonction des usages qui seront fait de l’œuvre. Ainsi, pour une photographie, qu’il s’agisse d’un fond d’écran, de l’illustration d’un livre, d’une publicité ou d’autres utilisations, l’utilisateur devra rémunérer l’auteur selon une convention passée entre eux. Il est à noter que certaines prestations sur des œuvres photographiques font l’objet de barèmes (émis par les chambres professionnelles ou les syndicats spécialisés) qui sont souvent repris par les tribunaux, lesquels sont appelés à trancher un litige sur le sujet. Ces droits sont considérés comme des biens immatériels patrimoniaux qui se négocient et peuvent être cédés, totalement ou partiellement, par l’auteur. Ils font également parties des successions comme toutes les autres propriétés de l’auteur.
Ces droits sont limités dans le temps, de nombreuses législations les rendent caducs soixante dix ans après le décès de l’auteur. Les œuvres, s’il en reste encore, tombent alors dans le domaine public. Tout un chacun peut ensuite les utiliser et en faire profiter le plus grand nombre, sous réserve de ne pas dénaturer l’esprit de l’œuvre voulu par son créateur. Là, c’est une toute autre histoire !
L’hiatus s’insinue sournoisement lorsqu’un auteur, ou de pseudo auteurs, (même s’il s’est rendu célèbre par des excès communicatifs), s’empare d’une œuvre, avec ou sans modification, pour en revendiquer sa propre propriété d’auteur. Hors le fait que cette opération se fait souvent sournoisement et dans le dos de l’auteur original (comment ces gens-là peuvent s’arroger un titre de créateurs), ils essaient de s’emparer de la totalité des droits avec l’impact économique lié.
Il y en a assez de ces pillages qui ont certes déjà existé dans l’histoire, (l’Histoire de l’Art en particulier). Ces soi-disant emprunts vertueux sont devenus multitudes avec l’évolution des technologies ; toutefois, ils restent les symboles des pertes de toute valeur morale et des focalisations sur l’argent.
Il ne faut pas me raconter d’historiettes abracadabrantes ; si tu es créateur, tu n’as pas besoin d’aller voler ou d’incorporer le travail des autres dans tes œuvres personnelles.
« … fussent-ils célèbres … » a écrit la juge Sonia Sotomayor. Elle a parfaitement raison ! Monsieur Andy Warhol était-il incapable de faire une photographie correcte pour lui permettre de faire ses sérigraphies à l’emporte-pièce ? Monsieur Jeff Koons est-il incapable de trouver une inspiration et un modèle propre sans voler le sujet et la photographie d’un autre ?
Je me pose la question de savoir comment ces personnages qui cherchent à se faire aduler des foules peuvent-ils en arriver à ce stade ? Sauf à admettre que le temps qu’ils consacrent aux soirées mondaines (si possible scandaleuses) et aux médias leur interdit de réfléchir et de réaliser par eux-mêmes. Il en est ainsi, avec toutes les petites mains qui s’affairent pour eux, sans même se rendent compte des bévues, lorsque ce ne sont pas des actes délictueux inacceptables, les maîtres osent.
Il est bien de constater qu’une œuvre de l’esprit, à laquelle il est reconnu une part de créativité, se trouve toujours protégée au sens de la propriété intellectuelle. Son auteur originel peut encore revendiquer tous les droits d’auteurs attachés. Le même auteur ayant les devoirs réciproques de ne pas utiliser les propriétés d’un autre (confrère ou inconnu) sans le respect absolu des mêmes obligations.
Après ces bonnes nouvelles juridiques, nous pourrions imaginer que la communauté des créateurs, en particulier photographiques, allaient pouvoir souffler un peu et reprendre son destin en main.
Malheureusement, je pressens que cela ne sera pas vraiment le cas. Car les cas évoqués relèvent d’un temps – déjà lointain – où les folies d’internet n’étaient pas encore concernées. Le temps est venu où des milliards de documents (dont des milliards de photographies) se baladent sur des enchevêtrements de canaux hétérogènes entre des milliers d’énormes centres de données.
Chaque nouvel auteur de ces réalisations fabuleuses, sans saveur, revendique, avec ardeur, un statut de créateur. Il n’est pas sûr que beaucoup aient compris que leurs étalages virtuels de merveilles sont devenus accessibles à tous. Surtout aux personnages mal intentionnés et à ces nouveaux logiciels qui font, défont et refont toutes ces nouvelles images promptographiques.
Dès demain, protéger nos droits et récupérer nos rémunérations risque d’être – à nouveau – un tout autre challenge.
Thierry Maindrault, 08 juin 2023
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