Récemment promue lauréate du Prix SFR Jeunes Talents, Dorothée Davoise vient de faire l’objet pendant près d’un mois d’une exposition au BAL avec sa série sur la Grèce intitulée « Topos ». Si la photographe entend avant toute chose collecter du pays à n’en plus finir, son travail se singularise par une volonté de faire survivre une certaine mémoire. Cette quête de vie dont elle parle serait à la fois le lieu d’une conservation des sites qu’elle photographie, mais aussi celui de sa propre mythologie personnelle.
Rencontre avec une photographe qui, en soumettant son objectif au hasard et au présent, remonte les traces du passé tout en cherchant inlassablement l’empreinte dissimulée.
La Grèce n’est-elle pas à proprement parler pour vous le lieu d’une errance ? Une porte de sortie ou d’entrée ? Comprenez-vous l’origine de votre travail en fonction de la représentation que vous vous faites de vos propres origines ?
Au départ, ce projet est né d’une volonté de renouer avec ces racines qui justement n’ont jamais été très éloignées de moi. Connaître un peu plus ce pays fantasmé dont je ne percevais depuis petite que les qualités. Je devais donc le photographier pour mieux le comprendre. Je crois qu’il y a eu une certaine satisfaction à travers ce projet, et en même temps, un éloignement s’est produit. Je me suis rendu compte qu’il me servait finalement non pas à renouer avec mes racines mais bien au contraire à aller au-delà. C’est devenu autre chose.
D’autant qu’une majeure partie de vos tirages, si l’on en croit les légendes, ne se situe pas en Grèce mais dans différentes régions de la Turquie…
Du fait des nombreux brassages et migrations forcées des populations grecques et turques durant le XXème siècle, l’histoire de ma famille maternelle recouvre de longues zones de troubles. On ne dispose d’aucune image. J’ai donc décidé de traverser les frontières, d’aller chercher de ce côté de la Turquie. D’abord le nord de la Grèce – Istanbul – puis la mer Noire. Cela a été une déception pour moi, car j’avais vraiment dans l’idée de retrouver ces racines grecques là-bas. Or, j’ai découvert que tout avait disparu à l’exception de quelques rares sites, magnifiques par ailleurs. Cela dit, j’ai aussi réalisé à ce moment-là que le projet revêtait un autre intérêt qu’une simple recherche généalogique.
On se retrouve donc presque en face d’une énigme ?
Il y a de ça, oui. L’aspect énigmatique s’intègre très bien au projet. Montrer à voir la Grèce, la Turquie et pourquoi pas continuer. La Géorgie, la Macédoine, l’Albanie, la Roumanie, etc., constitueraient une très belle suite.
Je trouve en réalité le titre de cette série très équivoque. Si l’on se réfère à l’étymologie du « topos », on découvre qu’à plusieurs endroits, cette définition retentit fortement avec ce qui émane de vos photographies. Est-ce que c’est quelque chose qui résonne chez vous ?
Le titre est trop souvent, à mon goût, synonyme de réduction, ou bien au contraire, de dissolution. Ce qui me plaisait dans le terme « topos », c’est bien sûr son étymologie grecque, et l’origine de la photographie de lieux communs. On pense bien sûr à la nouvelle topographie. J’apprécie en même temps sa simplicité : c’est un mot très court. Et puis ce titre se lie également à mes autres travaux, et j’ai profondément besoin de créer des ponts entre mes différents chantiers.
Le gris est très présent dans votre travail photographique et pas spécifiquement au travers de cette série. Est-ce une façon selon vous de ne pas choisir ?
Je me sens très irritée par la photographie contrastée, très en vogue en ce moment, et qui ne correspond pas à ce que je recherche. Le noir me dérange. Ce qui me paraît important, c’est qu’au départ, le choix du noir et blanc me sert à éluder la question de la couleur et pouvoir me concentrer sur les formes, les matières, le cadrage… Etrangement, le gris est pour moi une manière de voir encore plus de choses. On ne doit pas être habitué à voir des tirages si gris, et a fortiori dans un livre de photographies comme celui qui vient d’être publié chez Filigranes. Cela pose aussi la question du temps dans la photographie…
Contrairement à cette photographie « très contrastée » qui figerait l’instant de façon irréductible, le gris, lui, laisserait le temps en suspension ?
Oui, il y aurait quelque chose comme ça. A aucun moment je ne vois mes images contrastées. Lorsque je travaille au laboratoire, je cherche toujours à atténuer les contrastes. Pour moi, le dégradé de gris est intéressant car il permet de rendre visible tous les détails et subtilités de la photographie. On comprend davantage la matière par le prisme du gris.
Quoi qu’il en soit, cette forme, qui revient régulièrement dans vos clichés, semble raconter la disparition. A mon sens nul n’est supposé revenir. Qu’en pensez-vous ?
Il est vrai que cette remarque autour de l’idée de désertion et d’abandon revient fréquemment. Pour moi, ces images sont vivantes, ces lieux sont habités. Tout est vivant et en permanent devenir. Mes photographies parlent justement des gens qui y sont, qui y vivent, qui utilisent ces objets et empruntent ces routes. On est loin de la désertion.
Il s’agirait davantage d’une porte d’entrée que d’une porte de sortie finalement…
C’est un projet en constante évolution qui oblige d’autres questionnements. C’est important de toujours laisser une porte. C’est ce qui m’anime, être spectatrice de cela. Et en photographie, j’ai l’impression d’être spectatrice de tout, tout le temps. Il y a de la désillusion dans mon travail, mais une désillusion réjouie… Quelque chose d’éminemment excitant qui émane de cette contradiction entre nature désillusionnée et modernité anxiogène, et l’idée d’une matière pleine de ressources qui est là, et qui attend son tour.
Fanny Lambert