Le livre de Muriel Berthou Crestey, ” Au coeur de la création photographique ” propose une rencontre avec 24 des plus grands photographes contemporains.
Des photographes parlent. Quels sont les regrets ou les surprises qui ponctuent une vie de photographe ? Quelles sont les stratégies de réalisation, de partage et de diffusion qui leur correspondent ? Comment se sont forgés les points de départ, le thème, les formes etc. ? Quels sont les états d’âme des photographes ? En quoi les nouvelles technologies ont-elles modifié leurs pratiques ? Pour répondre à ces questions et à beaucoup d’autres, Muriel Berthou Crestey a rencontré des photographes représentatifs de différents mouvements de l’époque contemporaine.
L’Oeil vous présente au cours des prochains jours des extraits de ces entrevues, aujourd’hui DOMINIQUE ISSERMANN.
L’image libre (l’entretien publié comprend 30 questions – en voici 6)
Muriel Berthou Crestey. Quels sont vos supports de prédilection ?
Dominique Issermann. Je préfère les supports fragiles et éphémères. J’aime bien les cartes postales. C’est mon support préféré. J’aime les magazines parce que je pense que les photos finiront par emballer les poissons et cela me plaît. Ensuite viennent les livres et en dernier les expositions de photos. J’ai plus de mal, non pas à faire les tirages mais à les encadrer et à les accrocher au mur. Lorsque j’ai exposé à Arles en 2006, j’ai installé un système de projections de 5 mètres sur 3 dans des boîtes. Cela me convenait davantage puisque cette installation était parfaitement adaptée au lieu.
B. C. Les photographies d’Anne Rohart sont emblématiques de cette recherche d’équilibre. Vous parliez à ce sujet d’un dépliage permanent au fil des pages.
I. Je l’ai pensé comme un parcours dans l’architecture, une déambulation d’Anne dans le château de Maisons-Laffitte. Il y a une évolution progressive, d’abord une entrée dans le bâtiment et, enfin, une sortie. Entre-temps se fait une promenade plus ou moins tacite. Cela se fait dans une fluidité permanente. C’était aussi le cas dans l’exposition des photos de Laetitia Casta où j’avais choisi de présenter au début de l’accrochage des plans masses de l’architecte Zumthor 12 sur lesquels j’avais marqué des stations, comme s’il s’agissait d’une carte du Tendre. Il y avait des jetons qui montraient où j’avais fait les images, et cet ordre était respecté dans l’accrochage. La première photographie correspondait à l’état de stupéfaction dans lequel Laetitia était en découvrant l’édifice qu’elle ne connaissait pas encore. Il y avait du public tout le temps, donc il fallait se débrouiller avec cette réalité. Je voulais qu’elle s’installe d’abord dans le bâtiment comme dans un écrin, comme Jessica Lange dans la main de King Kong.
B. C. Quelle relation entretenez-vous au vêtement ?
I. J’appartiens à une génération où nous voulions respecter impérativement le langage du couturier et ce qu’il avait voulu exprimer. Souvent, je fais une séquence de prises de vue d’une heure et lorsqu’on pense que c’est fini, le mannequin repart en cabine ; je découvre le dos du vêtement et là, on s’aperçoit qu’il faut tout recommencer parce que c’est de dos que le discours est plus clair.
B. C. Votre positionnement dans l’espace détermine-t-il celui du modèle ?
I. Parfois, je suis par terre. Je me tors dans un sens ; elle fait le même mouvement inversé comme dans un miroir. Elle va au bout de ses possibilités pour garder telle ou telle pose et moi aussi. Cela me donne d’autres idées. Il se crée une harmonie entre ces deux énergies.
B. C. Les photographies de Laetitia Casta furent les dernières en argentique. Pensez-vous que les technologies numériques offrent de nouvelles potentialités ?
I. Certaines choses se sont perdues définitivement avec la fin de l’argentique. Il n’y a presque plus de labo. C’est intenable. Désormais, c’est un peu le parcours du combattant si l’on veut utiliser ce type de techniques. C’est beau. Ce sera toujours magnifique. Les technologies numériques engendrent des problèmes d’archivage. J’ai peur que cela devienne un grand marché pour amateurs et que les professionnels y perdent en qualité et en moyens à leur disposition. Il faut réinventer quelque chose mais cela n’est pas évident. Je travaille passionnément avec l’iPhone ; j’ai notamment réalisé une douzaine de clips pour le dernier album de Leonard Cohen 13 entièrement avec l’iPhone.
B. C. Vos images impliquent l’intervention du hors champ. Elles sont parfois cadrées sur un détail. Pourquoi privilégier le gros plan ?
I. Prélever un morceau de réel permet d’imaginer ce qu’il y a autour. C’est un procédé que j’utilise beaucoup dans les photographies d’accessoires, car même lorsque les gens ne voient qu’une partie d’un sac avec une main, ils ont l’impression d’avoir vu toute une scène. Je voudrais faire ressentir ce qui s’est passé avant et ce qui va se passer après, comme dans une séquence de cinéma.
Muriel Berthou Crestey – Au coeur de la création photographique
ISBN 978-2-8258-0285-4
Editions Ides et Calendes