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Dolorès Marat – Respect

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« Avant tout, un préambule fondateur, un souvenir barbelé, un de ceux qui se gravent dans la chair vive de la mémoire comme une meurtrissure, une nécessaire plaie ouverte parce que de ce moment là va surgir autre chose que soi.

25 ans. Une séance diapos en famille – grave erreur mais on faisait ça dans le temps.
D’abord le silence, puis un commentaire ironique du tonton rigolo, quelques rires étouffés, puis une cascade de plaisanteries, et tous de s’esclaffer en chœur. L’humiliation qui monte, le doigt qui s’accélère sur la télécommande, par rage, par dépit. Et puis sur le balcon, les larmes de honte, de colère… plus jamais plus jamais…

Et pourtant…une multitude de déclics plus tard… Aix-en-Provence, déambulations. Epoux, père, médecin, photographe et des questions en boucle dans la tête. Rues piétonnes. Un bouquiniste photo, avec sa boutique longue et étroite, les étagères à gauche en entrant, pour les soldes, les fins de série, les abimés.

Il me tombe dans la main, au rabais pour sa couverture brochée décollée. Labyrinthe. Dolores Marat. Un petit livre fin, timide mais ferme, avec un tout petit bonhomme pendu par les pieds au milieu d’un bleu de fin du jour. Pas un mot, ou presque, du Baudelaire pour traduire Edgar Allan Poe. Et des images en couleur, une succession d’étrangetés. Il m’a emporté. J’ai payé vite après avoir très peu regardé. Je me suis enfui, en hâte, comme effrayé d’avoir sous le bras quelque chose qui portait en promesse le danger d’un bouleversement. Ou la joie. En tous cas un risque.

Je connaissais la couleur, j’aimais ça, je faisais ça. Guy Bourdin, Cheyco Leymann, Helmut Newton…Ou Ernst Haas, Franco Fontana, William Eggleston…
Je me suis posé, mon livre au bout des mains…et j’ai été englouti. C’était sombre, tremblant, irréel, dans un temps mal défini entre l’obscurité et les lumières artificielles. Ca montrait…quoi … une entrée d’immeuble sordide, un pigeon mort sur le macadam mouillé, une bâche en plastique dans une vitrine, des bouts de jambes tronquées, une carcasse de viande pendue, des tas de gens flous, un tronc d’arbre avec du rien autour, des trucs que je n’ai toujours pas élucidés, et ça finissait par deux anges sur une colline en plein orage, mais deux vrais anges je veux dire. Dolores Marat sait photographier les anges…

J’étais sidéré, c’était l’inverse de tout ce que j’avais appris, de ce que je croyais savoir faire, de ce que j’avais aimé jusque là en photographie. Mais c’était pile poil … ce que j’étais moi. Ce que je voyais, ce qui me happait… mais que je ne photographiais pas, ou si peu, en tous cas que je ne montrais pas, que je n’osais même pas regarder quand je les avais faites. Mes mandarines écrasées dans la nuit, qui m’arrachaient des larmes (je croyais être dérangé, vraiment, pleurer devant des mandarines écrasées !), mes mannequins fantomatiques dans des vitrines éteintes, les passants trop vite passés, les décadrées, les floues, les sous exposées, les officiellement ratées, que parfois contrit de la culpabilité du mauvais élève je jetais, oui je jetais des diapos à la poubelle, comme je regrette…

Puis Rives, Illusion, New-York, énorme, immense et cher, mais acheté quand même, je peux payer en deux fois s’il vous plait ? je traquais ses livres.
Et bien sur je me suis mis à faire Mes Dolores Marat, j’ai photographié des rideaux rouges, des foules de dos, des gens au cinéma, des aubes floues, des lampadaires blafards, des volées de marches sinistres, des femmes sur des escalators, et plein d’humains à la volée Heureusement le temps a passé et j’ai appris à écouter mes images mentales sans contrefaire, mais quand je reprends aujourd’hui les livres de Dolores, je mesure à quel point elle a pétri mon regard, et conditionné les hasards qui ont construit mes photographies.

J’ai appris peu à peu à photographier du dedans.
Le dehors c’était l ‘impulsion, mais le dedans la vérité.

En Décembre 2010 nous nous sommes rencontrés. Stage de Dolores Marat à l’Atelier De Visu. Marseille. Soraya, la directrice m’avait prédit, tu aimes ce qu’elle fait, mais elle, tu vas l’adorer

Première journée, nous lui présentions tout émus nos port folios, elle était si gentille, elle accueillait tout, avec bienveillance. Mais j’ai voulu l’épater alors j’en ai montré, et montré, et montré, comme toujours. Elle m’a dit, de sa voix qui sortait de sa masse de cheveux – on ne voyait pratiquement jamais son visage – Monsieur, je crois que je ne vais rien pouvoir vous apporter, vous en avez déjà tellement fait .

Oh non, désespoir, de mon « trop » chronique, je l’avais mise à distance. Nuit blanche. Affres de misère. Que faire ? Le stage se déroulait, les sorties photos se succédaient, je faisais un peu, je lui montrais, hmmm, oui, essaie encore. Mais j’étais sous le charme, on se promenait, elle racontait, elle me disait on les laisse on va manger une pizza ? Mais Dolorès c’est 10h du matin ! Ah, c’est grave ? Non, allons manger une pizza. Et nous sommes devenus amis, je crois. C’était tellement plus qu’une approbation photographique, c’était son autorisation à être proche, à être comme, à être.

A regarder, à se laisser imprégner par les sensations, y mettre toute son humanité, son histoire, à raconter des douleurs – Dolores – à raconter des couleurs, à les laisser imprimer le sensible. Le rouge comme les larmes des mannequins, le jaune comme le souffle des dromadaires, le vert comme les crépuscules des rues perdues, le bleu comme la peau des âmes.

Oser dire, oser montrer, comme on entend, comme on ressent, elle a su faire et autoriser cela, à des générations de fans éperdus d’admiration, qui se sont inspirés et nourris de son incroyable liberté. Cette liberté de regarder, d’inventer, de laisser émerger.

Cette autorisation, pour un photographe, à être, tout simplement.»

« Dolorès Marat, ou l’autorisation à être » Texte de Michaël Serfaty, co-fondateur du Pangolin

 

Dolorès Marat – Respect
18 mai – 2 juin 2019
Le Pangolin
131 Corniche du Président Kennedy
13007 Marseille

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