À l’automne 2011, Steidl a publié sous l’égide de Martin Parr The Protest Box, qui rassemble des éditions en fac-similés de cinq livres de photos devenus introuvables, traitant chacun à leur façon du thème de la résistance politique. Algerien (Algérie), de Dirk Alvermann, est l’un de ceux-ci. En rendant visite au photographe, dans son studio, pour discuter des détails du reprint, Gerhard Steidl découvrit l’histoire captivante de la première publication, ce qui le décida à en procurer une nouvelle édition.
Jeune homme rebelle fasciné par la lutte du peuple algérien pour sa liberté, Dirk Alvermann avait vingt ans lorsqu’au début des années 1950 il franchit la frontière très surveillée de la Tunisie pour gagner l’est algérien, aux côtés d’une unité du FLN, et livrer un témoignage photographique des événements. De retour en Allemagne de l’Ouest, il entreprit de faire publier ses clichés par Rowohlt Verlag. Ernst Rowohlt, le fondateur – âgé – de la maison d’édition, examina la maquette et promit à Alvermann qu’il publierait le livre.
Mais quand celui-ci eut terminé la mise en page, les rênes de la maison était entre-temps passés dans les mains de Heinrich Maria Ledig-Rowohlt. Alvermann avait conçu son ouvrage pour être
un livre de poche afin d’avoir le public le plus large possible. Il souhaitait qu’il passe de main en main, comme un manifeste politique : de ce point de vue, le format « rowohlts-rotations-romane »1, qui avait vu le jour en 1950, semblait idéal.
Juste à cette époque, une délégation officieuse du FLN était en visite à Bonn, alors capitale de la République fédérale. Elle menait des négociations avec Hans-Jürgen Wischnewski, député d’opposition social-démocrate au Bundestag. Alors que ces discussions avaient lieu, l’organisation terroriste La Main rouge2 fit exploser une voiture piégée dans un attentat qui coûta la vie à de nombreuses personnes. La situation politique tendue, la crainte de s’aliéner des lecteurs ou des auteurs francophiles expliquent que Ledig-Rowohlt ait alors préféré retirer l’ouvrage de son catalogue de nouveautés.
La guerre d’Algérie et le combat du FLN étaient manifestement des questions trop embarrassantes dans la République fédérale du chancelier Adenauer, qui avait fait de la réconciliation avec la France l’un de ses objectifs majeurs. Alvermann trouva meilleur accueil pour son projet politique et photographique en RDA : la maison d’édition de Berlin-Est Rütten & Loening était disposée à publier son livre, à condition cependant que ce soit sous un grand format. Alvermann, lui, tenait à l’idée du format de poche, qu’il avait en tête lorsqu’il avait conçu la mise en page. Un accord finit par être trouvé : le livre allait sortir en petit format mais sous une couverture reliée.
Cette nouvelle édition de L’Algérie revient au dessein premier du photographe : le livre adopte le traditionnel format « rororo » sous la couverture cartonnée souhaitée et, s’agissant du contenu,
correspond jusque dans le moindre détail au projet initial. Les photographies sont accompagnées de documents politiques d’époque, extraits de rapports militaires, de journaux ou de pamphlets.
Plus de cinquante ans après sa première publication, il est plus d’actualité que jamais puisqu’il évoque la lutte d’un peuple contre l’oppression et le despotisme, qu’il s’agisse hier du colonialisme européen ou aujourd’hui d’une dictature autochtone.
Traduction : Lionel Leforestier
1 « Romans sur rotative Rowohlt » : les célèbres « rororo », les premiers livres de poche allemands. (N.d.T.)
2 Dirigé par les services de contre-espionnage français, le groupe armé La Main rouge, avait pour mission d’éliminer les chefs du FLN et leurs soutiens à l’étranger.
L’Algérie
Maquette de Dirk Alvermann
224 pages, 161 photographies.
10,8x18cm
18€
ISBN 978-3-86930-355-0
Distribution SODIS
Sortie le 1 mars 2012