Dimitris Yeros est né en Grèce en 1948. Depuis 1973, son oeuvre, y compris ses premières toiles, sont considérées comme appartenant au post-surréalisme européen. Il a été l’un des premiers artistes en Grèce à faire de l’art vidéo, de l’art postal et des performances. En 1975, il a commencé à utiliser la photographie dans un but artistique et réalisé plusieurs séries, mais il est revenu en 1985 à des formes plus académiques : natures mortes, paysages, et portraits. Il a commencé en 1987 une série de photographies signifiantes intitulée Théorie du Nu, et plus tard la série Pour une définition du nu. Egalement portraitiste, il a photographié de nombreuses personnalités créatives, publiant par exemple récemment un ouvrage sur l’auteur colombien Gabriel García Márquez.
Vous êtes grec et vivez actuellement dans votre pays. L’art classique, plus spécifiquement la sculpture, vous a t-il influencé en tant que photographe ?
On peut dire que j’ai grandi dans les musées archéologiques de Grèce. Ma mère venait d’un petit village qui n’a pas bougé pendant 4000 à 5000 ans. Il est situé à six kilomètres de la mythique Delphes, avec son fameux musée qui abrite des sculptures magnifiques de jeunes hommes qu’on appelle les kouroi. On y trouve l’une des plus belles statues d’Antinoüs, mais aussi l’aurige magistral, et d’autres. Même quand j’étais enfant, je passais des heures à les regarder. Ce n’était pas seulement leur beauté qui m’impressionnait, mais aussi la technique incomparable des artisans antiques.
Cela vous a t-il plus tard influencé dans l’intérêt que vous portez à la photographie de nu et la célébration du corps ?
C’est venu naturellement, tout seul. Dès mon jeune âge, pour apprendre à peindre, j’ai copié les tableaux de nus des peintres classiques. A la même époque, pour améliorer ma technique, j’ai demandé à mes camarades de classe de poser nus pour moi. Ajoutez toutes les statues de nus que j’ai vues dans les musées et vous comprendrez à quel point le nu fait partie de mon ADN. Je n’avais jamais vu le corps nu comme quelque chose de honteux ou d’immoral. C’était un état parfaitement naturel et normal. C’était Adam et Eve avant de croquer la pomme.
Vous êtes revenu à la photographie en 1985 après avoir travaillé dans d’autres médiums, notamment la peinture, puisque vous avez réalisé des toiles surréalistes. Avez-vous une approche similaire de la peinture et de la photographie ?
Mes premières toiles sont arrivées après une période relativement courte, pendant laquelle je me suis immergé dans l’art d’avant-garde en faisant des vidéos, des performances, et autres. D’un point de vue idéologique, elles sont bien plus proches du surréalisme. Plus tard influencé par des courants d’art contemporain, je m’en suis un peu détaché, et suis donc considéré désormais comme un post-surréaliste. En tant que jeune artiste, j’abordais des thèmes qui renvoyaient surtout à des problèmes contemporains, comme la solitude, le manque de temps et d’espace, l’environnement saccagé, la nature menaçante, la pollution sonore, etc. En d’autres termes, les problèmes auxquels mes contemporains sont confrontés sont avant tout mes problèmes et je le représente dans mes toiles et dans beaucoup de mes photos.
Dans la série Théorie du nu, vous photographiez parfois simplement un modèle, mais vous utilisez également à d’autres moments des animaux. Que représentent-ils ?
Dans cette série, j’utilise l’animal comme contrepoint, car l’état de nu n’existe pas pour lui. Cela permet de définir la nudité humaine non comme un état naturel, mais comme un choix mental et esthétique. J’ai commencé à créer cette œuvre en 1988, plusieurs années avant l’apparition des appareils photo numériques et de toutes les possibilités qu’ils offrent. A l’époque, c’était toujours un exploit de prendre en photo des animaux en mouvement en utilisant des négatifs avec une sensibilité de 100 ISO et des lampes au tungstène parce que les lumières stroboscopiques faisaient peur à l’animal.
Comment trouvez-vous vos modèles et comment les mettez-vous à l’aise ? En quoi les mannequins hommes ou femmes sont-ils différents selon vous, s’ils le sont ?
Je demande habituellement à des jeunes gens de mon entourage, des amis d’amis, des fréquentations, ou même des enfants d’amis. Ce sont les meilleurs modèles car ils me connaissent, ils me font confiance et ils ont conscience qu’ils participent à la création d’une œuvre d’art. J’en ai parfois eu marre, lorsque j’ai dû travailler avec des modèles professionnels, d’essayer de leur faire prendre des poses naturelles, sans effort, sans moue, ou sans yeux à moitié fermés. Ils ne comprenaient pas toujours ce que je leur demandais de faire. L’homme et la femme sont des sujets que j’utilise pour composer une image. Il se trouve juste que le corps de l’homme présente moins d’imperfections et qu’il est plus facile de trouver des modèles.
En 2011, vous avez terminé un projet intitulé Shades of Love, qui accole vos portraits photographiques et les poèmes du poète grec Constantine Cavafy. Que cherchiez vous à faire en créant ces images ?
Mon intention n’était pas d’appuyer la poésie de Cavafy parce qu’elle est si magistrale qu’elle n’en a pas besoin. C’est le plus grand poète grec depuis l’antiquité. Sa poésie est assez directe et les images inspirées de ses textes sont absolument claires. Ses poèmes m’inspirent des photos qui selon moi fonctionnent toutes seules. J’essaie juste de rendre photographiquement ce que disent les poèmes, notamment dans leurs moments les plus vifs et éclatants.
Vous avez publié récemment un ouvrage de portaits de Gabriel García Márquez, que vous avez photographié à plusieurs reprises. Qu’avez-vous appris avec cette expérience et en étant l’ami de ce grand auteur ?
J’ai confirmé ce que j’ai toujours su : on devrait toujours être très sérieux au travail ; l’artiste et l’intellectuel devraient faire preuve de cohérence et d’intégrité dans leur œuvre.
Cet entretien intègre une série menée par la Holden Luntz Gallery, basée à Palm Beach, en Floride.
Entretien : Kyle Harris
Holden Luntz Gallery
332 Worth Ave
Palm Beach, FL 33480
Etats-Unis