Je suis passé devant ces lieux des centaines de fois, je savais qu’un jour je les photographierai. Je ne savais pas quand ni comment mais je savais. J’attendais le bon moment sans savoir exactement ce qu’était le bon moment. Une histoire de sensations, sans doute. Et puis un matin je partis avec ma voiture de location blanche et break. Il était tôt, très tôt, soleil à peine levé qu’on ne pouvait distinguer tellement une brume épaisse et tenace enveloppait les paysages. J’ai parcouru pendant des heures ces paysages plats d’où surgissait des arbres , des bosquets qui n’avaient rien d’extraordinaire , des silos comme tant d’autres , des tas de betteraves pour les animaux comme on en voit partout mais qui, ces matins-là avec la brume et cette faible lumière froide de novembre , prenaient une dimension nouvelle, inquiétante par moment , poétique à d’autres. Le résultat était étrange ; ces lieux que je connaissais par cœur me devenaient étrangers ou plus exactement autres ; Peut-être à cause du noir qui a très vite pris le dessus, come une évidence ; ce noir que j’ai poussé, cherché à toutes les étapes du processus photographique Il a envahi mes photos mais de manière différente. Certaines se refusaient et les parts de blanc et de gris étaient encore nombreuses. Pour d’autres le noir avait gagné partout le moindre recoin du paysage , à tel point que la photo pourtant réaliste au départ n’était pas loin de basculer dans l’abstraction. Pour d’autres La lumière est devenue quasiment artificielle comme une nuit américaine sans l’être vraiment. Sur une autre, la lumière était tellement bizarre et illogique qu’on pouvait se demander si ce champ avec ce bout de métal de tracteur laissé là n’était pas plutôt un bout de planète inconnue éclairée par son propre soleil. En regardant ces photos , on ne sait pas ou plus à quelle heure elles ont été prises. C’est ce que j’aime, cette perte de notion du temps, cette perte de conscience du moment. Cette perte qui n’en est pas une.
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