Le directeur du Festival, Shahidul Alam, nous parle des défis et des attentes auxquels il doit faire face en organisant un festival tel que Chobi Mela, tout en soulignant la beauté et la singularité de l’événement.
Alors dites-moi, en quoi est-ce que cette édition de Chobi Mela est différente des précédentes ? Qu’est-ce qu’elle a de spécial ?
S. Alam : En premier lieu, c’est une extension des festivals précédents. Ce que nous avons toujours fait, à Chobi Mela, c’est de nous assurer que le festival soit le plus ouvert possible, que des gens de tous les continents y soient représentés, ainsi qu’une grande variété de travaux, que ce soit du point de vue des pratiques photographiques, ou des idées qu’ils peuvent véhiculer. Bien sûr, nous avons des artistes qui sont ici pour la toute première fois.
Je pense aussi que cette édition est assez différente dans le sens où cette fois-ci, nous avons une équipe curatoriale bien plus importante, des styles différents, les commissaires ont pris une part bien plus grande dans l’organisation de ce festival que les fois précédentes et bien sûr il y a les nouveaux lieux d’exposition au Shilpakala (musée national), cela nous permet de faire les choses de manière très différente.
Je pense que le changement tient aussi au fait que l’implication bangladaise pour cette édition est bien plus marquée qu’elle a pu l’être pour les éditions précédentes. Donc en un sens, même si Chobi Mela est un événement que nous organisons depuis tant d’années, ce n’est que maintenant que le public bangladais se réveille…
Comment avez-vous réussi à organiser Chobi Mela toutes ces années sans le soutien financier de l’État ? Quel est votre secret ?
S. A : En général, nous arrivons à transformer les lois de la physique ; la gravité n’a pas de sens au Bangladesh. Ces lois voudraient que nous trouvions de grandes quantités de financements auxquels nous n’avons tout simplement pas accès. Nous nous démenons en permanence : nous obtenons pas mal de choses en faisant des trocs, nous essayons de demander des services aux gens de manière à faire des économies, sans qu’ils nous donnent nécessairement des choses. Et de nombreuses personnes font preuve de beaucoup de bonne volonté, depuis les bénévoles comme vous jusqu’aux simples amateurs qui sont très généreux de leur temps et de leurs efforts. Mais nous avons aussi beaucoup de choses que nous pouvons faire en interne, ce qui veut dire que nous pouvons imprimer le catalogue, nous faisons les posters, nous avons des galeries à nous, ce qui nous permet de faire de grandes économies. Mais il est vrai qu’à long terme, l’implication du gouvernement est une nécessité pour espérer pouvoir continuer.
Pensez-vous que Chobi Mela ait eu, depuis sa création en 2000, un impact sur les jeunes ici, dans le sens où ils pouvaient voir de près des œuvres majeures, rencontrer des artistes directement à Dhaka et y trouver de l’inspiration ?
S. A : Bien sûr. Plutôt que d’envoyer nos photographes dans le reste du monde, nous avons fait venir le monde à nos photographes. Cela change tout. Mais c’est aussi différent dans le sens où c’est notre festival, donc ce n’est pas simplement l’idée de pouvoir se rendre au festival, c’est le fait pour de jeunes photographes de prendre possession d’un festival qu’ils peuvent vraiment considérer comme le leur. Mais je pense qu’il y a d’autres choses qui se passent, parce que le festival permet aussi aux gens de découvrir tout le processus, comment il est mis au point, ce qui se passe en son sein et après qu’il soit terminé, et la continuité qui se dessine. Donc, en un sens, le festival est un laboratoire dans lequel les photographes, les étudiants, ou simplement les gens curieux peuvent s’impliquer. C’est un événement très vivant.
Dans certaines biennales d’art du pays la photographie n’a pas sa place. Pourtant, cette année l’un des grands prix de l’Asian Art Biennale a été donné à un artiste du Liban qui utilise la photographie. Cela semble triste et contradictoire. Quel est votre sentiment sur le sujet ?
S. A : D’abord la question se pose ici de savoir si la photographie est un art. C’est une question si ridicule que je ne pense pas que nous ayons besoin de perdre du temps à y répondre. Le problème avec l’Asian biennale ou d’autres événements du même genre, c’est qu’ils sont dirigés par des fossiles. Des gens qui vivent encore dans le monde d’il y a cinquante ans et n’ont pas compris que les choses avaient changé. Ce qui est triste, c’est que leurs règles de sélection empêchent les photographes bangladais et les artistes plasticiens de soumettre leurs travaux. Les artistes étrangers ne se doutent bien sûr pas qu’il existe ici des règles aussi ridicules… ils soumettent leurs œuvres et elles sont jugées pour ce qu’elles sont. Je pense qu’il faudrait procéder à une grande transformation de toute la structure.
Sur quoi travaillez-vous actuellement ? Je vous ai vu vous consacrer à des impressions d’Eugene Richards. Dites-nous quelques mots à ce sujet.
S. A : Il y a deux expositions où je suis directement impliqué. La première est WAR IS PERSONAL d’Eugene Richards. C’est un photographe que je respecte énormément. Je trouve que son travail est très impressionnant. Il est aussi très personnel, très sensible et très émouvant. Cela ne se traduit pas si facilement parce que ses œuvres sont produites dans un espace culturel où les images seront interprétées d’une manière particulière. Ici au Bangladesh, ce genre d’interprétations ne va pas forcément de soi. Donc l’une des choses auxquelles je travaille est de m’assurer que l’espace d’exposition retranscrive la sensibilité et les émotions que l’artiste a essayé de capturer dans son travail.
Le travail d’Ojeikere est aussi très intéressant. Ojeikere est un pionnier dans son propre pays, et dans toute l’Afrique. Les problèmes que nous avons sont plutôt techniques. Nous avons un jeu d’images au format de 8000 pixels, et un autre en 2800 pixels. Et je voulais faire de très grands agrandissements. Les fichiers de 2800 pixels ne sont pas assez gros pour cela. Je télécharge actuellement un logiciel qui va me permettre, je l’espère, de faire des impressions plus grandes sans perdre de qualité.
OK, juste une dernière question : donnez-nous trois raisons pour lesquelles les gens devraient venir à Chobi Mela cette année ?
S. A : C’est amusant ! C’est spectaculaire ! Et c’est totalement différent !
Vous pouvez lire l’intégralité de l’interview de Shahidul Alam, réalisé par Munem Wasif, dans la version anglaise du Journal
Chobi Mela – International Festival of Photography
Du 25 janvier au 7 février 2013
House 58, Road 15A (New),
Dhanmondi, Dhaka 1209
Bangladesh