L’exposition de photographies de détenues par Bettina Rheims est accompagnée d’un livre dans la prestigieuse collection blanche de Gallimard. Il y a deux semaines une signature / rencontre eut lieu animée par la journaliste Marie Drucker.
Mercredi 7 février 2018 à la librairie Gallimard (Paris). Bettina Rheims discute avec la journaliste Marie Drucker. Elles confrontent deux œuvres éponymes portant sur le même, les Détenues. Un livre publié chez Gallimard (Bettina Rheims) et un documentaire (Marie Drucker). La discussion passionnée et sincère révèle la condition féminine en situation d’enfermement, le temps carcéral et les singularités des détenues.
Détenues, le livre de Bettinha Reims ouvre la porte de quatre prisons différentes en France. La photographe a reçu « l’injonction de se rendre en prison » de l’essayiste Robert Badinter. Elle y reste tout un hiver, loge dans des hôtels avoisinants les prisons. Construites en centre-ville au XIXe siècle, les prisons contemporaines sont désormais placées en pleine campagne, à l’abri des regards, hors de la société. Elles sont difficiles d’accès, matériellement comme administrativement. Fait rare, l’administration pénitentiaire retient le travail de la photographe, l’apprécie et lui donne carte blanche.
Les premiers jours remuent la photographe et la journaliste. La prison pourrait sembler un univers neutre comme aseptisé. Au contraire, c’est une somme de bruits assourdissants : cliquetis métalliques, télévisions, conversations répercutées sur les murs, Drucker. Les cellules personnalisées, décorées à l’emporte-pièce, traduisent l’ambiguïté des lieux, entre dépersonnalisation totale et résistances. Ce qui frappe également, c’est la méfiance, les regards interrogatifs et suspicieux des prisonnières. Ce qui vient de l’extérieur, hors famille ou les avocats, paraît suspect. Il faut gagner la confiance, discuter, s’immiscer sans brusquer.
« La prison pour femme ne veut pas être vue par la société », assène Bettina Rheims. Rien n’est plus vrai. 4% des détenus sont des femmes en France. On les ignore presque entièrement, la représentation des détenus et son imaginaire étant quasiment uniquement masculins. « Elles sont rejetées, elles se perdent, elles ne se voient plus. En prison, il n’y a pas de miroir. Leur féminité s’en va », détaille la photographe. Il y a là un ressort fondamental de l’incarcération : l’annihilation de l’identité. Distinctions, singularités disparaissent sous un même régime d’enfermement.
La photographe permet de restituer l’originalité de chaque être, en adoptant et renversant paradoxalement le même régime. Chaque détenue est photographiée dans une pièce, sur un fond blanc, assise sur un même tabouret, « dos au mur, face au monde ». Les mêmes conditions pour toutes. La photographe est contrainte par l’espace ridicule des cellules, le face-à-face permet une prise de vue uniformisée.
Pourtant ressortent les peaux, les tatouages, les âges, les détresses, les habitudes, les beautés de chacune. Postures avachies, fières, jouées, lascives, dubitatives, fatiguées. Regards indirects ou frontaux, dans lequel on croit voir une fuite, un oubli. Une pause momentanée.
La prison est un espace totalisant. Un ensemble où l’on oublie les heures qui passent, médicamentées jusqu’à l’usure. Un tout où l’on s’habitue aux huit mètres carrés, jusqu’à y faire un chez-soi. Un rythme où le temps ne se suspend pas, mais glisse indifférent. Cet espace totalisant marque la figure et les chairs. C’est ce que Bettina Rheims restitue dans ses portraits. Avec justesse, simplicité et retenue.
Arthur Dayras
Arthur Dayras est un auteur spécialisé en photographie qui vit et travaille à Paris.
Livre : Bettina Rheims, Détenues, Gallimard, collection Blanche, 2017
Exposition : Détenues
Chateaux de Vincennes et Cadillac, Paris
Jusqu’au 30 Avril 2018
https://www.monuments-nationaux.fr/Actualites/Exposition-Detenues-de-Bettina-Rheims
Marie Drucker, Détenues, documentaire What’s Up Films, Zed, 2016.