Dennis Hopper, hors la loi du cinéma américain, est mort le 29 mai 2010. Pour tout le monde, il reste d’abord le cavalier beatnik chevauchant sa monture, une Harley Davidson, dans le road movie Easy rider. Un hymne à la liberté cheveux au vent et joint au bec. Un rêve américain qui influença une génération.
C’est à une visite complète et riche de l’envers du décor que nous invite le volumineux ouvrage Dennis Hopper, photographs 1961-1967 (édité par le galeriste Tony Shafrazi). Car le comédien réalisateur et artiste ne se séparait jamais de son boîtier. Scènes de la vie ordinaire, plateaux de cinéma, visages de stars ou de vieux complices, d’inconnus, situations cocasses ou cruelles : il dégainait. Et ainsi à coup de clics et déclics, paparazzi un jour, artiste expressionniste un autre, il a tracé un portrait impressionnant et complet d’une décade qui a vu des changements culturels considérables dans la société américaine.
Dennis Hopper a connu et fréquenté Man Ray, Marcel Duchamp, Roy Lichtenstein, le jeune Warhol, Tinguely, Niki de Saint Phalle, le photographe William Claxton (nombreuses images de Hopper jeune). Il a photographié Ike et Tina Turner, Martin Luther King et tous les groupes californiens des sixties, génération « peace and love », mais l’essentiel dans ces clichés en noir et blanc bruts de tirage, comme on dit de décoffrage, réside dans le portrait de cette Amérique ordinaire, profonde, rencontrée sur les routes, le long des highways (chapitre du livre intitulé « On the road »). Un immense décor dans lequel des personnages cherchent leur chemin, les âmes un salut. Et le regard de Dennis Hopper, lui aussi éternel vagabond, capte cette vérité crue dans ses images résolument charbonneuses et sans profondeur de champ. Le cœur du livre. Impressionnant.
La trajectoire de Dennis Hopper, sa vie heurtée, est tout entière résumée dans ce travail photographique. Où l’on voit que, loin d’être obnubilé par sa carrière, il privilégie les expériences même les plus extrêmes: acide, poudre blanche et champignons hallucinogènes, brûlant sa jeunesse, alors que cet ami de James Dean ou Paul Newman voyait un statut de star hollywoodienne s’offrir à lui. Toute une première partie du livre est consacrée à cette partie de sa vie.
Autre chapitre passionnant, celui qui nous fait découvrir le photographe –artiste – plasticien, adepte de l’expressionnisme abstrait (début des années 60). Ou encore la partie du livre Inside Hollywood où le comédien photographe nous fait pénétrer dans les studios, sur les plateaux de tournage. De superbes documents aussi sur la marche pour les droits civiques. Grâce à un travail éditorial remarquable, ce volume livre l’essentiel de ce que l’on peut qualifier d’une œuvre.
Une œuvre photographique intense, sans complaisance, et un témoignage inestimable sur un artiste, comédien, metteur en scène sous-estimé, et son époque. Et pourtant, tous ces trésors ont failli disparaître à jamais. Walter Hoops raconte comment ces photos furent sauvées dans un texte délirant « The Taos Incident ». On vous laisse découvrir ce récit étonnant, dramatique et savoureux. Comme l’était Dennis Hopper, nous disent ceux qui furent ses amis et qui le visitèrent souvent dans sa maison à Taos, Nouveau Mexique.
Paul Alessandrini
LIVRE
Dennis Hopper: Photographs 1961-1967
Dennis Hopper, Victor Bockris, Walter Hopps, Jessica Hundley, Tony Shafrazi
Taschen
Edition multilingue: Allemand, Anglais, Français
Relié, 28 × 37.4 cm. 544 pages.
€ 49.99
http://www.taschen.com
Cet article est issu des archives du Journal de la Photographie.