La dernière œuvre de Denis Piel, Down to Earth (« Terre à Terre»), actuellement visible à Londres, peut être considérée pour de multiples raisons comme une exploration des mythes originels, qui parcourt l’histoire de l’art occidental à travers la mythologie classique, la fin du 19ème siècle et le début du 20ème.
En 2001, le photographe français a été témoin de la destruction violente du World Trade Center, qui accueillait le bureau de l’entreprise où il travaillait à l’époque. L’année suivante, il est parti avec sa femme et son fils dans le sud-ouest de la France pour vivre dans le Château renaissance de Padiès, construit sur un château-fort médiéval du 12ème siècle et qu’ils restaurent depuis 1992. Ce lieu est donc à la fois leur maison et le site public des « Jardins du château de Padiès ». Leur voyage dans le village de Lempaut, où se situe le château, leur a permis de se retirer d’un monde qui venait de perdre son innocence avec violence.
La collection de 38 photos qui forment Down to Earth a été produite au fil d’une année passée dans le château et ses jardins. Le titre de l’œuvre suggère une absence de prétention, un « réalisme » essentiel, évoquant une chute, mais aussi l’idée qu’une chose coupée du monde y revient. Aux côtés de photos représentant le monde naturel, des terres cultivées, du bois, des récoltes, des corps d’hommes et de femmes au repos et au travail, certaines images font directement écho à l’histoire de l’art occidental. Les draps de coton blanc qui sèchent sur une haie semble une version abstraite L’Origine du Monde de Courbet ; une femme nue dans un champ de tournesols évoque le tableau peint par Klimt en 1907, Le Tournesol, et une colombe s’envolant d’un nu couché renvoie au mythe de Danaé et de Léda – mariage entre le monde de l’esprit et celui de la chair.
Ces images semblent presque être les rêveries du château, comme si la bâtisse projetait son rêve, traçait un espace d’exploration fait de passages et de mouvements, peuplé de corps nus rappelant les nymphes et les satyres, plongés parfois dans des rêveries dionysiaques, parfois dans des travaux agricoles. Les photos accueillent une pulsation, une marée, comme un souffle de vie. L’exposition commence avec « Growth at Sunrise » (« Grandir au lever du soleil »), série de douze images de la même scène, photographiée à l’aube tout au long de l’année. C’est un cycle complet. Un calendrier. Une pulsation rythmique, qui revient à son début avant de reprendre son cycle.
Les photos en noir et blanc prennent une place de plus en plus importante à mesure que l’éclat exubérant de l’été disparaît et que les nymphes et les satyres se retirent. Une fleur de tournesol noire surgit, tache d’encre menaçante qui semble tombée là par hasard ; une spirale de foin évoque un nid frêle ou une volute griffonnée sur le point de s’effacer. La force de vie de la Terre se retire sous le sol ; on trouve encore de la beauté dans les fragiles squelettes de ce qui était beau autrefois, mais il y a désormais quelque chose de désagréable dans l’espace.
La dernière photo de l’exposition présente la carcasse d’un animal découpé gisant sur une table. L’image est choquante par sa beauté, avec ses couleurs riches en ombres qui contrastent avec le doux romantisme des corps de nymphes. Ici, la vie est nue, dépouillée, et la matière dépourvue du souffle de vie des dieux. A la fois séduisante et terrifiante, cette vie transformée a le pouvoir de nourrir encore plus de vie. L’image a perdu son innocence ; nous parvenons à voir ce qui gît en dessous, le mystère de la vie a été déconstruit.
Aux côtés des photos de Down to Earth, l’exposition présente Everyday Reality (« Réalité quotidienne »), une série de portraits de travailleurs ayant contribué à la maintenance et la production des Jardins du Château de Padiès via l’organisation WWOOF. On retrouve dans ces portraits la nudité dépouillée et le souffle de vie présents dans Down to Earth. Les travailleurs du jardin se mêlent par moments aux statues du château rêveur. Tandis que les deux mondes coexistent et se chevauchent, nous apercevons les origines de Down to Earth.
Ruth MacPherson
Ruth MacPherson est une auteure spécialiste des arts. Elle vit et travaille entre les Highlands d’Ecosse et le sud de la France, explorant les notions de voyage, de retour, de langage et de lieux.
Denis Piel, Down to Earth
Du 5 au 16 février 2018
Phillips
30 Berkeley Square, Mayfair
Londres, W1J 6EX
Royaume Uni