« Il vit au Caire. Avec la délicatesse qui le caractérise, il pratique une photographie apparemment calme, incroyablement exigeante, traversée par des doutes permanents et mue par l’indispensable relation personnelle qu’il va entretenir avec ce – et ceux – qu’il va installer dans le carré de son appareil. Sa passion pour les gens, pour les autres, l’a naturellement amené à développer le portrait comme mode de figuration privilégié de ceux dont il avait l’envie, le désir d’approcher davantage ce qu’ils étaient. Et il l’a fait, avec Catherine Deneuve comme avec des anonymes des quartiers populaires du Caire, avec cette même discrétion qui attend que l’autre lui donne ce qu’il espère, sans le revendiquer, en espérant que cela adviendra. Alors, patiemment, il a construit un portrait inédit de la capitale de cette Egypte avec laquelle il entretient une relation amoureuse, voire passionnelle, pour mêler, entre des noirs et blancs au classicisme exemplaire et des couleurs à la subtilité rare, une alternative absolue à tous les clichés, culturels et touristiques, qui encombrent nos esprits. »
Christian Caujolle
« La première ébauche de mon travail n’est pas un choix politique, mais un choix amoureux. Je suis tombé amoureux en Égypte, de l’Égypte. Durant mon premier séjour, je découvrais le plaisir du luxe à l’orientale, les soirées au bord du Nil, la musique, l’odeur des lauriers roses, mais, d’un autre côté, j’étouffais. Je me suis mis à focaliser sur le quartier populaire de la Gamaleya. J’ai découvert les gens, leurs maisons, leurs conditions de travail. C’était Zola. Germinal à la fin du xxe siècle. Des ateliers hallucinants de dureté, des fonderies de métal dans lesquelles se serraient une quinzaine d’ouvriers dans un espace minuscule. Mais, en même temps une camaraderie comme j’en ai rarement connu. Alors que moi j’aurai hurlé ma haine du monde entier, eux souriaient. J’avais des sages en face de moi, des anges et des damnés. Ces ouvriers ont servi de modèles aux plus grands écrivains égyptiens, tels que Naguib Mahfouz ou Albert Cossery. Moi, j’ai eu envie de montrer leur visage. Ceux dont on rit, que l’on méprise, ceux qui n’ont rien mais souvent beaucoup plus que moi, avec ma seule colère pour m’insurger contre leur misère. Depuis mon premier séjour en 1992, ma vision de l’Égypte et de son peuple n’a pas changé. Je continue à m’intéresser aux mêmes personnes. Ce sont elles qui m’importent, ce sont elles que j’éclaire. J’ai choisi de les sublimer par un travail minutieux de mise en situation, de perspective. Chaque personnage, chaque nature morte ou paysage me permet d’assurer ces choix. »
« C’est à travers le très beau livre que Paul Strand a consacré à ce pays, que j’ai découvert le Ghana. Ce fut un choc et je me suis dit qu’un jour moi aussi j’irais découvrir et photographier ce pays.
Après la sortie de mon livre Fils de roi, publié aux éditions Gallimard et entièrement consacré à l’Égypte, il était temps pour moi de renouveler ma source d’inspiration, d’aborder d’autres paysages, d’autres façons d’être, et j’ai décidé de partir pour découvrir l’Afrique subsaharienne, puisque c’est ainsi qu’on doit appeler désormais l’Afrique noire, pourtant un beau nom.
C’est avec les pêcheurs de Jamestown que j’ai connu mon premier choc au Ghana. J’ai été happé par ces scènes aussi fortes que celles qu’on trouve dans certains tableaux anciens, ces lumières aussi de bord de mer, éblouissantes et qui transforment parfois les hommes en silhouettes. J’ai aimé, après la pudeur égyptienne, la belle et libre nudité des corps ghanéens. Pour un photographe, ces corps sont un don. Et puis la rencontre de mon ami Joseph m’a permis de découvrir son village dans la région d’Ashanti. Mais le Ghana n’est pas un pays facile à apprivoiser. Il m’a fallu m’y reprendre à plusieurs fois, y aller, y revenir. Lors de mon dernier voyage, mon obstination s’est trouvée récompensée : j’ai découvert un village au pied du lac Volta où j’ai fait de très belles rencontres et peut-être mes meilleurs portraits, le fou du village, des enfants et encore une fois des pêcheurs qui vivent sans électricité à deux pas d’une station touristique.
J’aime ce sentiment de découverte perpétuelle qui me ramène à l’enfance et que j’essaie de vivre comme une naissance éternellement renouvelée. »
Denis Dailleux – Égypte / Ghana
Du 7 septembre au 26 octobre 2019
box galerie
102 chaussée de Vleurgat
1050 Bruxelles