Membre de l’agence Magnum et spécialiste de la photographie documentaire, David Hurn se distingue par son discret sens de l’observation et sa remarquable perspicacité. « La vie qui se déroule de l’autre côté de l’objectif est tellement complexe. Elle nous apporte tant d’émerveillement et d’étonnement que je ne ressens pas le moindre besoin de créer de nouvelles réalités », écrit-il. « Personnellement, j’éprouve plus de plaisir à voir les choses telles qu’elles sont. » Tombé amoureux de l’Arizona, aux États-Unis, David Hurn s’y rend régulièrement de 1979 à 2001, portant son regard sur les Arizoniens et leur vie quotidienne, leurs écoles, leurs cours de sport, leurs vacances et leurs paysages. Son nouvel ouvrage, intitulé Arizona Trips, contient plus de cent-cinquante photographies sur le sujet. L’écrivain Sir Christopher Frayling s’entretient ici avec le photographe britannique.
En 1979 et 1980, vous recevez la bourse Bicentennial Fellowship accordée conjointement par les États-Unis et le Royaume-Uni. Votre mission est de passer une année en Amérique et vous choisissez l’Arizona.
En effet, et j’ai choisi cet état pour plusieurs raisons. J’ai même dû aller à l’ambassade pour justifier mon voyage. À l’époque, l’Arizona était l’état le plus à droite de toute l’Amérique, tandis que le Pays de Galles était probablement le plus à gauche du Royaume-Uni. D’autre part, l’Arizona était également l’état le plus aride tandis que le Pays de Galles était l’endroit le plus humide. L’opposition me semblait absolument époustouflante. Quand on part avec ce genre de contraste, ça rend les choses bien plus faciles. Par ailleurs, il se trouve que je connaissais plusieurs personnes là-bas.
Vous y étiez déjà allé ?
Oui, et justement, j’avais fait un atelier là-bas l’année précédente. Il se trouve que l’un de mes meilleurs amis, Bill Jay, a énormément contribué à relever le niveau de la photographie journalistique. Il était rédacteur en chef chez Creative Camera et travaillait aussi à l’Arizona State University. Ce que j’ai donc suggéré à l’ambassade, c’est que je sois affecté à l’université. D’autant plus que je savais qu’on me prêterait une chambre noire.
Vous êtes très attiré par les festivals, les spectacles et les rassemblements en tous genres, n’est-ce-pas ? Beaucoup de ces photos représentent un rodéo, un cours de danse ou de sport, un bal, un spectacle, une fête… On voit que vous appréciez ce type d’occasion et le fait d’aborder un groupe social dense.
Je suis toujours passionné d’assister à des événements auxquels je ne participerais pas, en principe. Plus j’accumule d’expériences de ce genre, et plus je me rends compte que si des quantités de personnes font quelque chose, c’est en principe pour une raison. Généralement, ils s’amusent vraiment. Ils ne sont pas en train de regarder la télévision. Ils font tout un tas de choses et pour moi, la photographie constitue un passeport qui me permet d’entrer dans ces univers. Je suis très timide. Mais voilà ce qui se passe : vous avez un appareil, vous passez une porte, et il y a des gens, là, en train de vivre leur vie. Ils vont vous demander ce que vous faites, et vous, vous allez répondre que vous êtes photographe. Et si vous vous adressez à eux en leur témoignant du respect et de l’intérêt, neuf fois sur dix, ils vous invitent à les rejoindre et ils seront contents de vous avoir. Parce qu’en général, les gens aiment bien qu’on les prenne en photo, ils apprécient qu’on s’intéresse à eux.
Vous me parliez plus tôt du désert et je note que la plupart des photographies dans cette collection illustrent des interventions humaines au sein du désert. Alors que dans « The Arizona Highways », l’approche est de représenter le désert comme une étendue sauvage. Ici, on a des cactus, avec du papier ou des tasses en plastique posées dessus pour les protéger, ou des pancartes et des panneaux – enfin, différentes sortes d’interventions humaines. On a aussi une peinture rupestre dans une grotte, une autre sur un rocher. Ce qui vous intéresse, c’est donc ce que les êtres humains ont fait au désert.
Oui, c’est toujours ça qui m’a intéressé…
Et je trouve que c’est assez étonnant. La plupart des gens sont abasourdis devant ce paysage lunaire, et ils essaient de trouver le moyen de le représenter de façon majestueuse.
Peut-être que si j’y arrivais aussi bien qu’eux…
Ce n’est pas du tout ce que je voulais dire ! [éclat de rire]
S’interroger sur ce que les hommes ont fait à l’environnement, c’est une approche intéressante. Et apparemment, c’est la vôtre.
Oui, pour moi, c’est vraiment important, et en ce moment, je mène un projet similaire sur le Pays de Galles. Sur ce que l’homme fait à l’environnement. Mettons qu’on se retrouve dans un paysage, qu’on le trouve beau, et qu’on prenne une photo… Franchement, pourquoi ne pas acheter une carte postale ? Les gens dont c’est le métier y passe plus de temps, ils connaissent la lumière du coin, et ils y arrivent très bien. Moi, ça ne m’intéresse pas vraiment. J’ai rencontré un grand photographe, là-bas, qui s’appelle Mark Klett et qui me fascine. Il a compris que les gens qui avaient pris des photos de la ruée vers l’Ouest avaient photographié des endroits qui n’avaient pas beaucoup changé depuis. Il est retourné sur les lieux et a repris les mêmes photos, très exactement. Avec tant de précision que la Société américaine de géologie a pu mesurer l’érosion des sols.
Vous avez utilisé quel genre d’appareil pendant votre résidence ? Un petit format ?
Oui. À l’époque, je prenais des Leica.
Rien d’intrusif alors.
Non, absolument pas, et pas de flash non plus. Rien que la lumière naturelle.
Ça aide.
Oui, ça aide énormément. J’allais de projet en projet, et j’avais toujours un endroit pour me replier. Quand je suis arrivé là-bas, au début, j’ai lu que l’Arizona avait le taux de mortalité infantile le pire de tout le pays. Le concept même de trouver un écrit sur des statistiques de bébés qui meurent est absolument étrange. Toujours est-il que moi, je ne fais pas confiance aux statistiques, et j’ai écrit à Washington, au Département des statistiques. Et les Américains sont très réactifs et ouverts sur ce type de sujet. J’ai reçu une réponse tout de suite : « ces chiffres sont exacts, mais ils remontent à douze ans. Le taux de mortalité infantile en Arizona fait désormais partie des plus bas du pays et vient en seconde position. » Je me suis interrogé sur cette évolution incroyable, et j’ai décidé de faire ma petite enquête : tout a changé grâce à deux médecins, William Daley et Jaye Hayes, qui ont compris que dans cet état gigantesque, il y avait deux grandes villes, qui rassemblaient tous les hôpitaux. Et que partout ailleurs, quand on avait un bébé prématuré, il n’y avait personne pour vous expliquer comment s’occuper de lui. Les seuls qui étaient compétents se trouvaient dans ces deux villes. Tout autour, il y avait les sept tribus indiennes. Les Apaches, les Navajos, les Hopis…
Vous avez déjà exposé ces photos en Arizona ?
Certaines ont été exposées à l’Arizona State University. Il y a deux universités ici. L’Arizona University, à Tucson, et l’Arizona State University, à Phoenix. Quand j’étais là-bas, j’ai donné quelques conférences aussi.
Je me demande comment les sujets réagissaient ?
Je soupçonne qu’à l’époque, c’était en grande partie de la politesse. Ce sont des gens très gentils et ouverts. Ce serait différent, maintenant.
En effet, elles présentent finalement un intérêt historique.
C’est ça qui est passionnant, avec la photographie : quel que soit le niveau, il est presque automatique que la photo prenne de la valeur, parce qu’il y a des associations historiques, sociologiques etc. Même une mauvaise photo peut être intéressante, si on est en mesure de dire par exemple qu’à cette époque, les gens ne portaient pas de chaussettes. Cinquante ans plus tard, le détail devient intéressant.
Entretien mené par Christopher Frayling
Sir Christopher Frayling est présentateur, écrivain, pédagogue et historien. Plusieurs fois récompensé, il est connu pour ses recherches sur la culture populaire, à laquelle il a consacré de nombreux écrits – plus d’une vingtaine de livres et des interventions dans les médias, au cours desquelles il a critiqué des sujets allant des vampires au mouvement Bauhaus en passant par le western-spaghetti. Il vit et travaille à Londres, au Royaume-Uni.
David Hurn, Arizona Trips
Publié par Reel Art Press
19,95 £ / 29,95 $