C’est à l’âge de vingt et un ans que David Gaberle démarre la photographie : ayant interrompu ses études à Londres, il revient à Prague et commence à travailler comme barman dans un club de jazz. Confronté quotidiennement à l’espace confiné du métro, il décide de prendre son appareil photographique avec lui pour se distraire, et comprend rapidement que l’objectif lui permet de dompter sa perception du monde qui l’entoure.
Pour lui à cette période de sa vie, le simple fait de sortir dans la rue est un exploit surhumain. Terrifié, il cède bientôt à la panique et passe deux mois à l’hôpital psychiatrique de Bohnice, dans le nord de Prague. Composé de pavillons disséminés parmi des arbres imposants, l’établissement dégage une atmosphère à la fois nostalgique et intemporelle évocatrice des histoires de Tchekhov. Si l’on n’est pas sujet à l’anxiété, on peut y voir un cadre idéal pour faire une promenade. Dans le cas contraire, on se sent rassuré par les hauts murs, qui protègent les lieux de la ville environnante et anxiogène. Ce ne sont donc pas les ambitions artistiques qui mènent David à la photographie, mais plutôt un effort intense pour se comprendre lui-même et trouver les bases solides qui lui permettent de se redresser et de vivre sa vie.
Les enseignements de la métropole
David Gaberle n’a pas vécu les restrictions imposées par le régime communiste, contrairement aux générations antérieures, qui ont dû s’habituer brutalement à la liberté presque totale ainsi qu’à la vaste gamme de choix qui se présentaient soudain. Né en 1989 quelques semaines après la révolution de Velours, il a grandi dans une famille aisée de la classe moyenne, au sein de laquelle on suppose naturellement que les enfants auront autant de succès que leurs parents et leurs aînés.
De son propre aveu, il souffre d’un perfectionnisme presque pathologique et d’un besoin constant d’analyser sa perception et ses pensées. Par ailleurs, s’il se prend de passion pour quoi que ce soit, il s’y consacre de manière absolue. À dix sept ans et sous le pseudonyme Quote, il rappe en anglais et le fait si bien qu’il parvient à perdre son accent d’Europe de l’est. Quiconque a déjà tenté l’expérience sait qu’elle implique une oreille, une mémoire et un sens du rythme qui sortent de l’ordinaire. Dimension supplémentaire : son anglais ainsi amélioré lui facilite l’accès à l’université de Cambridge. Cependant, poussé par son lien étroit à la culture urbaine et son aversion pour l’image traditionaliste de cette ville universitaire, il s’éloigne de ce lieu typique et pittoresque pour aller étudier l’anthropologie à l’University College de Londres. Rompu à la pratique, il s’acquitte sans difficulté de la lourde charge de travail. Pour lui, le grand nombre d’événements culturels progressistes et le large éventail de nationalités autour de lui forment les avantages les plus importants de la vie londonienne – à Prague, ses amis sont issus en majorité de la banlieue de Palmovka, alors qu’à Londres, ils viennent du monde entier.
Avec le temps cependant, la pression sociale de la réussite, sa volonté de fer et son ambition insatiable entraînent de lourdes conséquences pour l’étudiant. Il se souvient des mois entiers pendant lesquels il passe en bibliothèque jusqu’à seize heures par jour, week-end compris. Pour gagner du temps, il va en courant se chercher un repas, qu’il engouffre à la hâte sur le chemin du retour. Après deux ans de ce régime, il est contraint de mettre un terme à ses études. Revenu dans son pays natal, il lui faudra deux ans pour se remettre et retrouver son équilibre. Cette aventure est emblématique de son existence toute entière : il repousse constamment ses limites, comme sous l’impulsion d’un moteur interne inexorable.
Petr Volf
Auteur spécialisé en art, Petr Volf est basé à Prague, en République Tchèque.
David Gaberle, Metropolight
Self-Published
25€