Alors que Phaidon vient de publier une rétrospective inversée de Danny Lyon — le récit revient sur la carrière du photojournaliste social en commençant par ses séries les plus récentes —, Aperture et Xavier Barral republient son épopée mythique sur les routes américaines aux côtés de motards underground, The Bikeriders. The Bikeriders est le premier exemple de documentaire immersif, bref et intense, qui a fait la signature de Danny Lyon. « À mes débuts, j’ai fait beaucoup de reportages en très court laps de temps – environ sept ans. J’ai commencé à Albany, en Géorgie, avec le mouvement pour les droits civiques et je finis en me consacrant au système pénitentiaire au Texas – avec le SNCC (Student Nonviolent Coordinating Committee), les Outlaws et Lower Manhattan entre les deux. Quand j’arrivai au bout, je n’avais pas encore passé trente ans. À la fin de cette période, j’en avais fini avec la photographie. Je ne voyais pas quel nouveau monde conquérir ni une manière de faire un meilleur livre que Conversations with the Dead, je suis donc venu ici au Nouveau Mexique. Je suis toujours là, au même endroit. Et quand je suis parti, je n’ai jamais regardé en arrière. Je n’ai pas rendu visite à ces gens, je ne les ai pas appelés. Je les ai utilisés comme sujets, en tant que journaliste, et puis je suis passé à autre chose. Vous pouvez imaginer ça ? J’ai quitté le SNCC fin 1964, et en l’espace de deux ans, je suis devenu membre du groupe de motards des Outlaws qui allaient faire des piques-niques en utilisant un vrai drapeau nazi de trois mètres de long comme nappe. Et j’étais l’un de ces gars ? », racontait Danny Lyon à Susan Meiselas dans une interview publiée dans Bomb Magazine en 2010.
The Bikeriders est un carnet de route écrit à poignets déliés, sur les manettes comme sur les coups à boire et les mécontents par les membres des Chicagos Outlaws, à discuter mécanique et grosse bécane avec Cal, Funny Sonny, Zipco Coackroach et autre Bobby Goodpaster. Ils se provoquent à grands coups dans le guidon, lancés à 150 km/h sous l’autoroute, avalent des chenilles vivantes pour s’affirmer ou s’amuser, s’enivrent de risques autant que d’alcool. Danny Lyon a roulé avec eux en 1965 et 1966, quand ils étaient encore aussi fiers et libres que les rebelles mythiques du cinéma. « Le monde des bikers tel que je l’ai connu à ses débuts est sans cesse contraint par de nouvelles lois et par les critiques des médias. Si L’Équipée sauvage était tournée aujourd’hui, Marlon Brando et le Black Rebel Motorcycle Club devraient porter des casques », écrit Danny Lyon en introduction.
Les textes occupent une place importante dans ce petit livre qui tiendrait dans la poche poitrine de l’une des nombreux blousons en cuir ou en jean qui défilent sur les fourches bien astiquées des Bikeriders. De longs extraits de conversations spontanées entre caïds passionnés de mécanique courent sur la deuxième moitié de l’ouvrage : cylindre, culasse, fourche, bastringue et baston, tout y passe. « Il peut pas modifier sa bécane comme moi ou Pierre. Donc, c’est pas un vrai Angel, tu vois ? Moi, j’adore ces bécanes tripantes, mec. Tu sais à quoi elle ressemblait, la dernière que j’ai eue ? Ma dernière, mec, c’était un vieux clou, de 62. Rien que le cadre, j’ai mis deux semaines à le customiser. Je l’ai surbaissé, tu sais, avec la fourche un peu rallongée. Et c’était si bien fait que tu voyais pas un seul raccord », raconte Cal, l’un des principaux narrateurs et amis de Danny Lyon. Cal est né au Canada, a déménagé trop tôt ou trop tard mais n’a pas réussi à apprendre l’anglais avant d’intégrer l’armée, Il fini par adopter un club de motards apres s’être fait virer de l’école, de l’armée et de la police pour des raisons toujours houleuses. « J’aimais les motards parce ce qu’ils en faisaient des tonnes dans le genre sales, méchants et anti-conformistes », explique Danny Lyon.
Et de fait, les textes donnent aux images une texture qui défend la tentation romantique ou nostalgique. « J’sais pas, genre il est dingue et j’pensais qu’il changerait. Mais non, il a gardé son caractère brutal. Genre tu lui dis un truc, et il te file un coup dans le derrière. Et j’suis pas habituée à ça. Et j’arriverai pas à m’y faire parce que comme je lui ai dit, j’suis pas belle en noir et bleu », raconte Kathy, 26 ans, mariée à Benny, un dur à cuire de 19 ans dont les exploits hors-la-loi ont défrayé la chronique locale. La coupure de presse sur la course poursuite de Benny — de son vrai nom Brent Bauer — est d’ailleurs reproduite aussi, complétant ce récit unique en son genre d’une aventure sociétale. Danny Lyon a depuis pris la route pour d’autres horizons.
http://exb.fr/en/133-the-bikeriders.html
http://aperture.org/shop/danny-lyon-the-bikeriders-books
http://bleakbeauty.com/home.html
http://dektol.wordpress.com/
http://bombmagazine.org/article/6620/