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Daniel Denise : Ma première nuit à Nancy

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C’est le portefolio le plus touchant que nous ayons recu ce mois-ci. Il nous vient de Daniel Denise et était accompagné de ce texte d’introduction et des témoignages de ses sujets.

« Ma première nuit à Nancy » est un projet auquel Corinne Baret, ex journaliste, pensait depuis longtemps: rassembler des témoignages de migrants, avec ce désir de les écouter parler, plutôt que parler sur eux.
Comment sont ils arrivés dans notre ville ? Pourquoi ont-ils réellement quittés leurs pays, leurs attaches, pour entreprendre parfois le voyage de tous les dangers ?
L’annonce d’un Premier Parlement de rue organisé fin juin à Nancy par des association d’aide aux migrants, était l’occasion d’éditer une poignée de récits et de rencontres, pour présenter des parcours singuliers souvent en souffrance.
En janvier 2024, Corinne Baret m’a proposé de l’accompagner au travers d’un futur projet d’exposition et une série de portraits.
Cette édition est mise à disposition à prix libre au profit de l’association : Un toit pour les Migrants.
Ce projet a reçu le soutien du Labo des Histoires Grand Est, la Ville de Nancy et le Conseil Départemental 54, qui a imprimé gracieusement ce livret.
Par le hasard du calendrier et de la dissolution, le livret est sorti la veille du premier tour des législatives, donnant à ce projet initialement humaniste, un éclairage devenu bien plus politique.

Daniel Denise

 

FATIME
Née le 1er avril 1985 à N’Djamena (Tchad)
Arrivée le 24 décembre 2018 avec ses 3 filles

« C’était le 24 décembre 2018. J ‘avais 33 ans. J’ai fui le Tchad avec Fatima, Aïcha et Imane (7 ans, 3 ans et 1 an) car ma belle famille voulait les faire exciser. Dans ce pays, le côté paternel décide tout. Ma belle-mère a dit qu’il fallait le faire et même si mon mari et moi n’étions pas d’accord, même si la mutilation génitale féminine est interdite par la loi au Tchad, nous devions obéir.

J’ai discrètement préparé une petite valise avec un porte-bébé, les manteaux des enfants, deux habits légers – j’ignorais qu’il ferait froid – et en cachette avec la complicité de mon mari, j’ai pris un avion pour Paris avec mes fillettes. »

Fatime choisit de se réfugier en France car elle réussit à obtenir rapidement un visa français et parce qu’elle parle la langue en plus de l’arabe tchadien.

« À l’arrivée à l’aéroport d’Orly, j’ai demandé à un taxi de nous conduire à la gare pour Nantes car j’avais le contact d’une connaissance. Le chauffeur nous a dit de monter, j’ai fait confiance. Il m’a pris beaucoup d’argent, nous a déposées devant la gare de l’Est et il a filé.

Là, j’ai vu que les trains ne partaient pas à Nantes mais à Nancy. Il était tard, il faisait froid, on était fatiguées.

Avec les filles, nous sommes montées dans le premier train pour Nancy, sans ticket.

À l’arrivée, la contrôleuse nous a emmenées dans le bureau d’un agent de la SNCF.

Le monsieur était très gentil. C’était la veille de Noël, il a donné des compotes et des madeleines pour les petites.

Nous sommes restées longtemps avec lui, jusqu’à une ou deux heures du matin.

Il a demandé si nous savions où dormir. Non, mais j’avais le numéro d’une Tchadienne qui vivait à Ludres.

Il a dit : les enfants je suis votre père Noël ! Il nous a conduit en voiture chez cette dame qui logeait en fait dans un foyer pour demandeurs d’asile.

La première nuit, nous l’avons passée moitié dans le bureau de l’agent SNCF et moitié chez cette Tchadienne. Je ne les ai jamais revus mais je pense souvent à eux.

Le lendemain, jour de Noël, nous sommes revenues toutes les quatre à la gare et j’ai demandé à une étudiante gabonaise quel train prendre pour aller à Nantes car je voulais y faire une demande d’asile. Elle m’a dit pourquoi Nantes ? Tu peux faire ta demande ici, à Nancy.

Il était 16h, la ville était calme, c’était férié. L’étudiante nous a proposé de dormir chez elle. Nous y sommes restées deux jours et elle appelait le 115, numéro d’urgence sociale. »

Fatime et ses filles se rendent alors au bureau d’accueil des demandeurs d’asile, rue Molitor. La famille obtient une chambre à Ludres, à l’hôtel Bonsaï dédié aux réfugiés, y réside trois mois avant d’être transférée au Format 1 (ex-Formule 1) du Champ-le-Bœuf transformé en centre d’hébergement.

Stressée, perdue et sans argent, Fatime raconte son envie très forte de rentrer au Tchad mais sa famille et son mari lui déconseillent. Trop dangereux.

Le 11 octobre 2019, la demande d’asile est acceptée.

La famille obtient un logement à Jarville et le 13 décembre de la même année, Fatime reçoit un courrier de la protection de l’enfance qui assure que personne n’aura le droit de mutiler ses fillettes.

« Nous avons dansé de joie ! J’ai prévenu ma famille qui est fière de moi. Mon mari, mes parents et mes six frères et sœurs m’appellent souvent. Avec ma belle-mère, ça va… Elle parle au téléphone avec mes enfants. »

Depuis quelques mois, Fatime et ses filles ont déménagé dans un appartement plus grand à Jarville.

Diplômée de l’Ecole Supérieure d’Informatique appliquée à la Gestion (ESIG) à N’Djamena, Fatime est femme de ménage et rêve de devenir aide-soignante.

Son mari, toujours au Tchad, espère obtenir des papiers pour rejoindre sa femme et ses enfants.

« Moi, je ne peux pas retourner dans mon pays… Maintenant notre vie est ici et je ne veux plus aller à Nantes ! J’aime Nancy. »

 

SALIOU
Né en 1989 à Mont-Rolland (Sénégal)
Arrivé à Nancy mi-décembre 2019

« Je m’appelle Saliou, je suis né en 1989 à Mont-Rolland au Sénégal. En 2009, je suis parti faire mes études supérieures à Dakar, la capitale, où vit mon père polygame. Il dirige une entreprise de transports. J’ai travaillé pour lui et j’ai commencé la boxe.

Au bout de 3 ans, j’ai intégré l’équipe nationale de boxe du Sénégal, j’ai fait plus de 42 combats dont 35 victoires. J’avais un niveau élite. Grâce à ce sport, j’ai beaucoup voyagé en Afrique.

En 2019, je devais participer à une compétition en France mais le visa court-séjour est arrivé trop tard et je n’ai pas pu partir à temps.

Mon père très autoritaire n’aimait pas ce sport. Pour lui, je perdais mon temps. Au boulot aussi c’était compliqué. Je gagnais bien ma vie mais j’étais stressé, obligé de gérer plein de choses en plus des entraînements. C’est une pression que je ne peux même pas décrire.

Je me suis dit, je veux boxer, je me suis battu pour être en équipe nationale, c’est à moi de choisir ce que je veux faire dans ma vie. Je suis le seul maître de mon destin.

Quand j’ai reçu le visa, j’ai décidé de partir.

Je suis arrivé à Paris en avion le 25 novembre 2019 avec un sac de couchage, quelques habits et mes gants de boxe dans une petite valise. J’ai appelé mon coach du Sénégal. Il m’a dit qu’un ancien boxeur du club vivait à Nantes.

J’y suis allé et pendant deux semaines, je m’entraînais dans une salle où je me suis fait plein de copains. Mais le Sénégalais qui m’hébergeait était demandeur d’asile, c’était compliqué.

Mon petit frère connaissait un ami d’enfance étudiant à Nancy.

Je l’ai contacté, il était d’accord pour m’accueillir.

Mi-décembre, j’ai quitté Nantes et j’ai pris un bus pour découvrir le paysage pendant le trajet.

L’ami m’attendait à l’arrivée quai Sainte-Catherine. Il était tard, nous avons pris le tram à Division de Fer jusqu’à la Cité universitaire Mon-Plaisir de Vandœuvre.

Ma première nuit à Nancy, je l’ai passée par terre dans mon sac de couchage à côté de son lit d’étudiant dans sa chambre

de 9 m²2.

Quelques mois après, mi-mars 2020, il y a eu le confinement. Ce n’était pas facile mais en Afrique on a l’habitude de vivre à plusieurs dans une pièce.

De nombreux étudiants venaient dans la chambre, nous buvions du thé vert à la sénégalaise et le soir on jouait au foot devant la cité universitaire.

La journée, je regardais des documentaires pour apprendre comment vivent les Français.

Mes parents ignoraient que je ne reviendrais pas. Ma mère, fière de moi, m’a toujours encouragé même si elle n’a jamais voulu assister à mes matchs de boxe mais je peux le comprendre. Elle est tout pour moi.

Avec mon père, on communique mais sans réel dialogue. Il parle et ne m’écoute pas. Il y’a plein de choses qu’il n’a pas comprises.

Ça me fait mal.

Pendant mon enfance, j’avais tout, je n’ai pas connu la pauvreté, ni le manque de nourriture. C’est en France que j’ai vécu cela.

J’aimerais que mon père soit fier de moi, qu’il reconnaisse tout le travail réalisé pour son entreprise de transports et comme j’ai progressé pour gagner tous ces combats de boxe.

Ici, à Nancy, je ressens une grande liberté. J’ai rencontré des personnes exceptionnelles qui m’ont accueilli, comme Bernard, Colette, Blandine, Caroline…

Depuis mon arrivée en 2019, j’ai obtenu le brevet professionnel (BPJEPS) de moniteur de sport, j’apprends à boxer à des jeunes handicapés sur fauteuil et des autistes, j’aide à la distribution de colis alimentaires pour plus de 150 familles de Nancy. C’est une manière de rendre ce qu’on m’a donné. Même dans une situation difficile, on peut aider, donner de son temps. Sans rien attendre en retour.

Je n’ai toujours pas mes papiers. Je n’avance pas dans ma vie de sportif, j’ai le niveau de boxeur élite avec largement de quoi être classé professionnel mais ce n’est pas possible sans titre de séjour.

Pour la préfecture, la boxe n’est pas un métier en tension.

Mais je veux travailler. Je ne suis pas quelqu’un qui tend la main. »

 

VARDUSH
Née en 1975 en Arménie
Arrivée le 23 août 2010

« Ma première nuit à Nancy, je la passe dehors. J’ai 35 ans. Je reste à la gare jusqu’à la fermeture et dors dans le quartier, souvent à côté d’un monsieur avec une grande barbe.

Il n’y a jamais d’hébergement disponible en appelant le 115, le numéro d’ urgence sociale. Je dors dehors pendant un mois et suite à ma demande d’asile politique, j’obtiens une place dans un foyer à Longwy où je peux rester jusqu’en août 2013.

Je pars ensuite vivre avec mon compagnon près de Sarcelles en Ile-de-France. En février 2015, la préfecture de Meurthe-et Moselle accepte mon dossier et me délivre un titre de séjour d’un an. J’accouche en août 2015.

En août 2016, je me sépare de mon ami et reviens à Nancy seule avec mon bébé. Je demande un renouvellement de titre de séjour et appelle le 115. Mais pas de logement pour mon fils et moi. Pendant un mois, nous dormons dehors, près de la gare. Des gens nous apportent parfois à manger.

En septembre 2016, nous avons enfin une place à la caserne Faron. Nous y restons deux ans et demi, puis sommes logés à l’hôtel des Vosges jusqu’à fin septembre 2019.

Le 3 octobre, je reçois une OQTF, Obligation à quitter le territoire français. À nouveau nous sommes à la rue. Jusqu’en fin d’année, je passe mes journées devant l’église Saint-Sébastien place du Marché. Mon fils va à l’école Charles-III.

En février 2020, une dame de l’association La Belle Porte nous héberge chez elle. De 2018 à 2023, je fais le ménage aux Restos du Cœur et donne un coup de main aux distributions de la Banque alimentaire.

En Arménie, j’habitais à huit kilomètres de la capitale Erevan. J’avais fait des études de comptabilité et d’architecture.

J’ai décidé de fuir mon pays suite à des problèmes politiques avec des policiers.

Dans un grand sac, j’ai mis des vêtements, une serviette, du gel douche et j’ai pris un avion pour Paris en passant par Riga en Lettonie.

J’ai passé une première nuit dans l’aéroport Charles-de-Gaulle. Une dame m’a donné 20 €, un carnet de tickets de métro et elle m’a noté le trajet à prendre pour rejoindre une gare sur un bout de papier. J’ai gardé longtemps ce papier.

Sur un plan, j’ai vu « gare de l’Est ». J’y suis allée. Mais je ne savais pas quel train choisir : Metz ? Nancy ? J’ai croisé une Tchétchène qui parlait russe. Elle m’a dit qu’il y avait beaucoup d’Arméniens à Nancy, c’est comme ça que je suis arrivée ici.

Mais à la descente du train, je ne savais pas quoi faire, où aller, où m’adresser.

J’ai reçu un titre de séjour le 26 février 2024, plus de 13 ans après ma venue en France.

Aujourd’hui, j’habite avenue de Strasbourg, je suis femme de ménage et aussi bénévole au Café Fripé rue de Metz.

Mon fils va bien. Le Secours catholique et plusieurs associations m’ont aidée. »

 

ISABELLE
Née en 1984 à Libreville (Gabon)
Arrivée en décembre 2019 avec son fils Kyann né en 2013

« J’avais 35 ans, j’étais mariée avec le père de Kyann et nous vivions à Port-Gentil au Gabon. Quand notre fils a eu deux ans, nous avons remarqué qu’il était différent. Là les ennuis ont commencé. Nous ignorions ce qu’il avait, les pédiatres disaient il est agité mais c’est un garçon.

J’ai fait des recherches sur internet et j’ai pensé à l’autisme, un trouble méconnu dans mon pays. Pour nos familles, c’était un enfant sorcier dont il fallait se débarrasser car il apportait la malchance. S’il y avait un décès, c’était sa faute. Tout ce qui arrivait de mal était soi-disant à cause de lui. Kyann a été victime de maltraitance.

Je travaillais dans le secteur du bois et j’ai décidé de quitter mon emploi. Je suis partie à Libreville, la capitale du Gabon, pensant que là-bas, je trouverais de l’aide. Mais Kyann a subi des exorcismes, les gens disaient si tu as un enfant sorcier, c’est que tu es une sorcière.

C’était dur.

Ma grande sœur qui vit à Dortmund en Allemagne a proposé de nous accueillir. Nous avons pris l’avion et sommes restés quelques jours chez elle. Mais ça s’est mal passé, Kyann était agité et a failli se défenestrer du quatrième étage… Ma sœur m’a dit de l’abandonner et nous a foutus à la porte.

J’ai contacté un oncle qui vit depuis plus de 20 ans à Malzéville près de Nancy. Il a dit oui je peux vous héberger.

Avec mon fils, nous arrivons début décembre dans la nuit du vendredi et comme il est tard, nous dormons à l’hôtel en face de la gare. La deuxième nuit, je la passe chez l’oncle…

Il est content de nous voir, trouve que je ressemble à ma grand-mère, sa tante, on parle du pays… Mais dès le début, je le trouve trop tactile.

Le soir, il me dit de dormir avec lui. Je dis non, c’est pas possible ! Les nuits, j’ai peur qu’il me viole. La journée, il part travailler et nous interdit de sortir.

Au bout de deux semaines, il en a marre et s’énerve : soit tu acceptes de coucher, soit tu pars. J’appelle ma mère pour lui raconter que tonton pète un câble et quand il l’apprend, il se fâche et nous met dehors.

Avec Kyann et nos valises, nous partons dans un hôtel à Houdemont. Je ne sais pas quoi faire. C’est difficile.

J’entends parler du 115, le numéro d’urgence sociale. Je téléphone et nous nous retrouvons à la caserne Faron dans un hangar qui ferme mal, sur deux lits de camp avec une couverture chacun. Il fait très froid mais je n’ai plus de crainte d’être mise à la rue ou violée.

Je commence alors la procédure de demande d’asile avec une assistante sociale de l’ARS, l’Association d’accueil et réinsertion sociale. Elle me prévient que cela risque d’être long.

Après deux mois à Faron, nous sommes hébergés à l’hôtel

Format 1 (ex Formule 1) à Laxou où nous passons le confinement et où je reçois une OQTF, Obligation de quitter le territoire français.

Le 21 juillet 2020 au matin, la police frappe à la porte pour nous ramener à la frontière allemande : nous sommes arrivés par l’Allemagne et c’est dans ce pays que nous devons faire notre demande d’asile. Mais je ne parle pas allemand et préfère revenir à Nancy.

Je contacte alors une avocate. Grâce à des associations comme Toit d’Urgence, un Toit pour les Migrants, JRS et Welcome, nous sommes accueillis, hébergés et aidés pendant 3 mois à tour de rôle chez Francesca, Mireille, Caroline, Delphine et d’autres.

Entre temps, Kyann, 7 ans, est inscrit au cours préparatoire à l’école Schweitzer de Laxou deux jours par semaine pendant une heure et demie. Cela me permet de souffler et de chercher des solutions.

L’association « Vivre avec l’autisme » de Malzéville m’aide beaucoup pour que Kyann ait une auxiliaire de vie scolaire.

En février 2021, nous avons une chambre au foyer de demandeurs d’asile d’Essey-lès-Nancy.

En juillet 2022, je reçois enfin la carte de séjour !

Depuis, nous vivons dans un appartement à Essey, Kyann est pris en charge par plusieurs spécialistes et il est scolarisé en classe Ulys à Seichamps. Et moi, après une formation, je travaille à temps partiel comme secrétaire dans un cabinet d’avocats.

J’ai revu ma famille au mariage de ma petite sœur en 2023 mais nous n’avons pas parlé de Kyann. Je sais qu’aucun ne m’apportera le soutien dont j’aurais besoin. Je m’en fiche. Que mon fils soit fier de moi, c’est le principal. »

 

SUMAA
Né le 16 décembre 1992 à Nyala (Soudan)
Arrivé le 3 décembre 2008

« J’avais 16 ans. Mon père est mort, tué en défendant son bétail et je devais partir faire la guerre du Darfour. Ma mère ne voulait pas… J’ai dû fuir le Soudan.

Sur les pubs et films à la télévision, on voyait l’Europe avec plein d’argent, des belles filles, des belles voitures, les droits de l’Homme. Je pensais que c’était le paradis. J’ai pris des baskets, des pantalons et des tee-shirts dans un sac et j’ai quitté Nyala.»

Après un long périple à travers le Tchad puis la Libye où il travaille six mois, Sumaa se retrouve en août 2008 à minuit sur une plage de Benghazi parmi de nombreux clandestins.Il donne tout son argent à un passeur pour traverser la Méditerranée et rejoindre l’Europe rêvée.

« Il y avait trois petits zodiacs. Je n’avais jamais vu un bateau de ma vie. J’étais sans crainte, pressé d’embarquer. Mais une fois dans l’eau, j’ai eu peur.

On s’est entassés à 37 sur un des canots. Sans gilet de sauvetage. Le passeur libyen a désigné un Tunisien pour tenir la barre et il s’est sauvé. Comme j’avais déjà conduit une mobylette, j’ai tenté de l’aider…

Un des zodiacs a coulé juste devant nous.

Nous n’avons pas dormi de la nuit.

Au lever du jour, nous avons croisé des pêcheurs tunisiens qui nous ont donné du pain mais ensuite, un bateau d’hommes armés de kalachnikovs ont menacé de trouer notre zodiac. C’était la panique.

Nous sommes restés en plein soleil tout l’après-midi et à la tombée de la nuit, un bateau de gardes italiens nous a secourus et nous a débarqués à Lampedusa, en Italie. Nous étions tous épuisés, affamés.»

Sumaa passe plusieurs mois dans un camp de réfugiés près de Foggia dans le sud du pays. Il travaille dans les champs de tomates, conduit un petit tracteur, envoie l’argent gagné à sa mère restée à Nyala avec ses six frères et sœurs.

«Au camp, nous étions quatre à vouloir rejoindre l’Angleterre. Nous sommes partis à Vintimille à la frontière française mais la police nous a bloqués. Nous avons dormi à la gare et après plusieurs essais cachés sous les banquettes de train, nous avons réussi à passer.

À Nice, je suis monté dans un TGV pour Paris. Il faisait très froid, je dormais dehors et fumais cigarette sur cigarette pensant que ça me réchaufferait.

A la gare de l’Est, dans l’espace VIP, j’ai trouvé un vieux journal avec un soleil au-dessus de Nancy sur la carte météo. J’ai pensé, je vais aller là-bas, il y fait chaud.

Après une nouvelle nuit glaciale, je suis monté sans billet dans le premier train pour Nancy. Des policiers m’attendaient à l’arrivée le matin du 3 décembre 2008.

J’ai été en garde à vue jusqu’à tard à l’hôtel de police de Lobau. C’est un peu là que j’ai passé ma première nuit. »

Sumaa loge dans des foyers de la métropole, il apprend le français au collège Gallé d’Essey, déménage à la maison d’enfants Clairjoie de Bouxières-aux-Dames.

En avril 2011, Christèle, une éducatrice, organise une sortie à la Corrida d’Heillecourt. Sans entraînement, Sumaa avale les 7 km. Avec des chaussures de basketteur.

« Je n’avais jamais couru de ma vie et je suis arrivé 13e.»

Suite à cet exploit, le jeune Soudanais s’entraîne avec d’autres coureurs. Interne à Epinal pour des études de menuiserie, il intègre un club d’athlétisme vosgien.

Il obtient ensuite sa carte de séjour et une chambre au foyer jeune travailleur de Laxou, réussit son diplôme, poursuit avec un bac pro à Metz et bosse six ans dans une entreprise de pose de fenêtres.

Aujourd’hui agent technique au Conseil départemental 54, Sumaa poursuit les entraînements, enchaîne les courses, récolte des coupes, est sélectionné aux championnats de France, court 25 km par jour, joue au foot à Seichamps…

« En 2019 et 2021, je suis retourné à Nyala voir ma famille. Tous voulaient que je reste, que je me marie là-bas. Mais au Soudan, c’est compliqué. J’ai des amis à Nancy, ma vie est ici.

J’appelle ma mère toutes les deux semaines. Elle est fière de moi.»

 

DIEUDONNÉ
Né le 28 octobre 1986 à Yaoundé (Cameroun)
Arrivé le 10 février 2022

« Je suis homosexuel et je vivais en cachette pour ne pas être tué ou brûlé. Au Cameroun, l’homosexualité est un crime. D’ailleurs, quand l’ambassadeur français pour les droits des personnes LGBT, Jean-Marc Berthon, a voulu venir à Yaoundé en juin 2023 pour discuter de cette situation, le gouvernement a refusé. C’est non.

J’étais persécuté par mon oncle, le petit frère de mon père. Il travaillait à la garde présidentielle et à plusieurs, ils m’ont tabassé. L’oncle disait que si mon père est décédé, c’est à cause de moi.

Ma mère est morte à l’accouchement et c’est ma tante qui m’a élevé. Elle redoutait que ses trois filles apprennent mon homosexualité. Le 19 septembre 2019, elle m’a aidé à quitter le Cameroun avec un visa pour la Turquie et m’a dit de ne plus la contacter.

À l’arrivée, je ne connaissais personne. Des Africains m’ont conseillé d’aller vivre dans un pays des droits de l’Homme. Je les ai suivis. En bus, nous sommes allés près d’Izmir pour la traversée vers l’Europe. Moi je pensais que c’était une traversée en voiture ! Mais nous sommes arrivés au bord de la mer : c’est de là que nous devions partir.

Des passeurs nous ont fait monter à une cinquantaine sur un canot pneumatique qui s’est percé au bout de 15 minutes. Nous avons chaviré, c’était la panique. J’ai sauvé un bébé de la noyade. Toutes mes affaires sont restées dans l’eau.

Quelques jours plus tard, nous avons pris un autre canot et avons accosté sur l’île Kalymnos en Grèce. J’y suis resté plus de deux semaines, puis un ferry nous a embarqués pour Athènes.

J’ai vécu deux ans en Grèce dans un camp de réfugiés, à 18 dans un container. Puis j’ai obtenu mes papiers mais je n’arrivais pas à m’intégrer. Je subissais des remarques racistes en permanence dans le bus, dans la rue…

Je ne parlais pas le grec, il fallait payer pour prendre des cours et je n’avais pas d’argent. C’était pénible, invivable.

Comme je parle français, langue officielle au Cameroun, je me suis dit, je vais aller en France.

J’ai regardé une carte de ce pays sur internet et j’ai vu « Nancy ». Le nom m’a capté. Tout de suite il m’a plu. J’ai cherché sur google maps et j’ai découvert la ville, ses bâtiments…

J’ai pris un avion puis un train et je suis arrivé tard. C’était le 10 février 2022.

Des gens fumaient et buvaient dehors, en face de la gare. Je leur ai expliqué n’avoir pas de lieu où dormir. L’un d’eux, Loïc, a proposé de m’héberger.

J’ai passé ma première nuit chez lui. Je ne peux pas dire où c’était exactement car je ne connaissais pas la ville. Je ne l’ai jamais revu.

Ensuite, c’était un peu galère et j’ai souvent dormi dehors, devant la gare, mon unique repère.

J’ai déposé une demande d’asile et depuis 6 mois, je loge dans un foyer près de Nancy. Quand j’aurai mes papiers, j’aimerais travailler en cuisine ou dans la chaudronnerie ou la sécurité.

Grâce à l’association Equinoxe LGBTI+ de Nancy, j’ai du soutien. J’ai envie de faire ma vie ici, c’est accueillant et je me sens libre.

Je n’ai plus aucun contact avec le Cameroun. »

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