Tulipes, roses, iris, narcisses, isolés sur un fond noir ou blanc, l’artiste basé entre Berlin et Amsterdam a récemment présenté une sélection de son vaste travail photographique consacré aux fleurs à la galerie nüüd qui le représente. L’œuvre, qui s’étend sur plusieurs années, intitulée « Fading Beauty », capture les fleurs depuis l’éclosion jusqu’à ce qu’elles se fanent. Un voyage de portraits délicats dans lesquels les formes, les teintes et les textures célèbrent le caractère éphémère de l’existence. Cet hommage sensible à la beauté que le temps transforme de manière irréversible n’est pas sans rappeler le travail d’Irving Penn, dont l’artiste d’origine bahaméenne semble partager les intérêts. Une rencontre.
Noémie de Bellaigue : Pouvez-vous nous parler des origines de cet ouvrage encyclopédique consacré aux fleurs ? Quelle a été votre inspiration initiale et votre intention initiale ?
Dale Grant : Mes débuts en photographiant des fleurs ont été très organiques. J’ai toujours vu la beauté et les possibilités photographiques des fleurs. Par exemple, lorsque j’achetais des fleurs au marché aux fleurs et que je les rapportais à la maison, je prenais souvent des photos des fleurs juste pour capturer leur beauté et essayer de capturer ce que je voyais dans les fleurs.
Ma carrière a commencé comme photographe de mode. Alors que j’étudiais les relations internationales à Paris avec l’intention d’étudier ensuite le droit à Londres, j’ai vite compris que ce n’était pas ce qui m’attirait. Un de mes amis était photographe de mode et après l’avoir assisté un jour sur une séance photo de mode, je savais que je voulais faire la même chose, alors j’ai commencé à l’accompagner plus souvent. Après de nombreuses années en tant que photographe de mode, je suis tombé amoureux de l’industrie de la mode. À cette époque, je photographiais de plus en plus de fleurs, très inspirée par les belles fleurs qui m’entouraient à Amsterdam, où je vivais à l’époque. Au fil du temps, j’ai réalisé que les gens commençaient à s’intéresser à ma photographie florale et j’ai pris la décision de quitter la photographie de mode et de devenir photographe d’art avec les fleurs comme muse.
NB : La prise de vue à différents stades de floraison révèle à la fois la complexité et la particularité de chaque fleur. Qu’avez-vous découvert au cours de ce travail ?
DG : J’ai découvert que la beauté peut être vue à toutes les étapes de la vie. Lorsque l’on achète un bouquet de tulipes fraîchement coupées par exemple, elles se ressemblent toutes. Mais c’est lorsqu’elles commencent toutes à s’ouvrir que l’on découvre que chaque tulipe a ses caractéristiques et sa personnalité propres. C’est ce que j’aime capturer lorsque je photographie des fleurs.
NB : La force picturale de ‘Fading Beauty’ est la plus puissante dans vos compositions florales, qui sont de véritables fresques… Pouvez-vous nous en dire plus sur la démarche artistique qui a conduit à des résultats aussi raffinés ?
DG : J’ai réalisé très tôt qu’en isolant les fleurs sur un fond noir, les couleurs vives et les formes des fleurs étaient plus expressives et plus mises en valeur, un peu comme si l’on photographiait le portrait d’une personne sur un fond noir. Je rapportais des fleurs à la maison, je les plaçais dans un vase sur la table et je les observais ; quand je pensais que le moment était parfait pour capturer leur beauté dans toute leur splendeur, je prenais la photo. Comme le visage d’une personne, je jouais avec tous les angles de la fleur jusqu’à atteindre celui qui me paraissait parfait.
Je préfère la lumière naturelle prise à une vitesse d’obturation faible, ce qui me permet de capturer toutes les textures, états et formes complexes de la fleur.
NB : Quand on revient sur vos autres œuvres, notamment vos portraits d’artistes, un fort contenu allégorique se dégage. Dans ces natures mortes, et dans la patience dont vous avez fait preuve en les observant, on ne peut s’empêcher de voir une sorte de lien avec « Fading Beauty » ; pouvez-vous m’en dire plus ?
DG : Je suis heureux que vous ayez remarqué cela. Je vois les fleurs comme une allégorie de la vie, à partir du moment où elles commencent à s’ouvrir jusqu’au moment où les pétales commencent à sécher et à tomber de leurs tiges. Comme pour les fleurs, je cherche à retrouver la beauté des visages des personnes que je photographie, quelle que soit l’étape de leur vie ; Je cherche à trouver la beauté à n’importe quelle étape de la vie. Pour moi, le vieillissement d’une fleur ou d’un visage donne une autre forme de beauté, mais une beauté quand même.
Les plus grands compliments que je reçois dans ma série viennent de personnes qui jettent généralement leurs fleurs au moment où elles commencent à mourir ; ils me disent que mes photographies de fleurs mourantes les ont poussés à conserver les fleurs plus longtemps car ils peuvent désormais apprécier la beauté du vieillissement et l’éventuelle désintégration des fleurs.
NB : Trois photographies de somptueux dahlias ouvrent votre monographie « Fading Beauty ». Ils sont signés par votre mère à qui vous rendez hommage entre autres : Doritt Grant, elle-même photographe. Dans quelle mesure la pratique de votre mère résonne-t-elle avec la vôtre et a-t-elle influencé votre vision des fleurs et de la photographie de manière plus générale ?
DG : Ma mère était photographe aux Bahamas et je garde de bons souvenirs d’entrer dans son studio quand j’étais enfant et de la voir réaliser des portraits de personnes venues se faire photographier par elle. Nous gardions une boîte de vieilles photographies à la maison et ce livre contenait une série de fleurs de dahlia qu’elle avait photographiées en 1969. En grandissant, j’ai toujours été fascinée par ces photos parce qu’elles étaient si différentes de toutes ses autres œuvres. Le chemin que j’ai emprunté vers la photographie avec le portrait et la photographie florale comme sujet principal a été influencé par ma mère, inconsciemment, j’en suis certain.
Interview par Noémie de Bellaigue
“Dale Grant : Fading Beauty” publié par Kerber Verlag.