La revue Record du photographe japonais est publiée en fac-similé aux éditions Textuel. Trente exemplaires de seize pages où Moriyama nous conduit dans ses promenades urbaines et sa nuit en plein jour.
« Pour nous, photographe de rue, il n’existe pas d’autre option que de bourdonner comme des mouches et voir où nous pouvons grignoter quelque chose » écrit Moriyama en août 2009 en préambule du douzième numéro de sa revue Record. Créée en 1972, ce fanzine rassemble les derniers clichés du photographe alors qu’il arpente les rues d’innombrables villes. Après trente ans d’interruption, encouragé par un ami, Daido Moriyama a repris le projet en 2006 à raison d’une publication de quatre exemplaires par an. Depuis, près de trente albums ont éclot et l’artiste, à 80 ans, continue encore.
Ce sont les impressions d’un marcheur invétéré qui se promène dans le dédale des grandes villes. Tokyo, Londres, Paris, le photographe agrippe la rue et nous en livre les aspects les plus étranges. Jungle de câbles électriques, roues laissées au bord de la route, affiches décrépies, vendeurs à la sauvette, crabe dans un aquarium, crocodiles dans des bacs à eau…Il y glisse toujours, aussi, un autoportrait : son propre reflet dans un miroir ou son ombre qui vient effleurer l’image. « Pour moi le style de mes propres instantanés urbains revient à gratter et à attraper toutes sortes de vues des gens et des décors divers que je rencontre dans la rue » explique-t-il en octobre 2013.
Ce que la rue charrie
Car en plus d’être une compilation exceptionnelle de photographies, Record contient aussi les impressions écrites du photographe. Œuvre intime, elle ressemble à un journal dans lequel Moriyama livre son regard sur la photographie et sur son propre travail. Ainsi se justifie-t-il d’utiliser majoritairement le noir-et-blanc qu’il dit aimer pour sa « qualité d’abstraction symbolique » et en même temps, en pure contradiction, il nous offre dans la série suivante des photographies en couleur.
Point de vue singulier dans l’univers des photographes, Daido Moriyama apprécie les gros plans sur les choses que le monde de la rue charrie, entre le déchet et la fleur, entre l’homme et l’animal, entre l’architecture et le terrain vague. Ses vues sont teintées d’une obscurité mate dans laquelle se dégage comme une texture épaisse, une matière à la façon d’un peintre qui ajouterait des couches de peinture supplémentaires sur sa toile dans le but d’y insuffler le sentiment de la vie. « Notre quotidien est coincé dans une impasse entre le déjà-vu et le jamais vu – ce qui justifie amplement qu’on sorte le capter », écrit-il.
Traquer le bizarre
Autre émotion qui émerge à la lecture de cette compilation est celle qui nous vient à la vue des voyages que le photographe entreprend et dont il nous restitue la teneur à travers son incomparable regard. Ainsi, en janvier 2009, il se promène à Osaka au Japon et nous donne à voir toute la dimension baroque de la ville. Aussi de ses photographies prises à Florence en Italie en avril 2011 où Daido Moriyama continue de traquer l’étrangeté, le bizarre, d’un lieu hautement touristique. Ironie même, où le photographe indique un autre champ que celui des touristes, comme s’il s’inscrivait résolument en faux de ce manège, trouvant la beauté ailleurs, dans une bouteille de vin brisée sur un sol goudronné ou un escarpin abandonné au beau milieu d’une rue.
Jean-Baptiste Gauvin
Jean-Baptiste Gauvin est un journaliste, auteur et metteur en scène qui vit et travaille à Paris.
Daido Moriyama, Record
Publié par les éditions Textuel
65€
http://www.editionstextuel.com/