Depuis ses débuts, la photographie s’est fait le témoin, puis l’avocate des prises de consciences, notamment humanistes et écologiques. Ansel Adams déjà à son époque était un activiste engagé dans plusieurs groupes de paroles et lobbies influents auprès du congrès et du Président, en faveur des valeurs de la nature.
Les changements écologiques découlent cependant d’un processus lent et sont peu visibles dans l’immédiat. La prise de conscience se fait souvent a posteriori des alarmes lancées, lorsque l’on constate trop tardivement que les choses ne sont plus ce qu’elles étaient.
Aujourd’hui plus que jamais, alors que la Californie brûle et que le permafrost fond comme glace au soleil, il semble nécessaire de déclencher une prise de conscience collective des enjeux écologiques et de visualiser les scénarios d’anticipation.
C’est en tout cas le défi que le photographe sud coréen Daesung Lee s’est lancé.
Futuristic Archaeology nous parle de la Mongolie. Ou plutôt, de la désertification en Mongolie.
Le nomadisme est depuis des siècles au centre de la culture du pays. Malgré une urbanisation qui s’est intensifiée ces dernières années, 35% de la population est encore aujourd’hui nomade et dépend par conséquent des vastes pâturages, lacs et rivières qui traversent la Mongolie. Ce mode de vie se voit cependant de plus en plus menacé par la désertification et l’avancée du désert de Gobi.
Les causes de ce phénomène sont multiples, mais l’une des raison principale découle du changement même des modes de vie des nomades. La demande de cachemire des pays occidentalisés, séduits par la matière, augmente de manière régulière. Or, en remplaçant les traditionnels moutons par des chèvres, plus agressives pour la végétation et plus gourmandes, et en augmentant les cheptels (les cheptels d’animaux domestiques ont presque doublés depuis les années 1990), apparaît la menace d’un surpâturage, qui appauvrit les sols, et menace de désertification 80% de ce territoire déjà affaibli par le réchauffement climatique (assèchement des lacs et des rivières).
Si Lee a pour objectif d’alerter, ses images ne sont pas là pour poser un jugement. Elles questionnent, appellent à la réflexion et aux conclusions de chacun. Elles informent des changements – des écosystèmes certes, des traditions, des coutumes et des modes de vie qui dépendent d’un environnement bien particulier surtout.
Pour lui, la photographie est un moyen d’aider à visualiser la trace de l’anthropocène. Il voit la photographie comme un accompagnement, une aide à la prise de conscience écologique.
Ses images nous interrogent: sommes-nous prêts à faire face aux changements, à accepter la raréfaction de l’eau, à voir disparaître les modes de vie nomades ?
Dans ses mises en scène, le photographe pose également la question de l’héritage. Par un portrait de famille allant du patriarche au cadet des enfants et d’une herbe verte à une étendue de sable, Lee évoque les questions de succession et de pérennisation non seulement de nos mœurs, mais de la descendance. Avoir des enfants n’est plus si anodin quand il n’y a plus rien à léguer – ni cheptels, ni terre, ni eau, ni même mode de vie, qu’il s’agisse de la Mongolie ou d’ailleurs.
Montrant de plaisantes vues pittoresques de mongols en habits traditionnels avec chevaux ou chèvres, sous un ciel presque toujours bleu, ses images se regardent comme l’on regarderait des tableaux dans un musée, et c’est d’ailleurs là toute sa volonté. Les images de scènes et des paysages pris dans des zones encore vertes replacées sous forme de grands tableaux bâchés dans des zones où le sable a fini par recouvrir la vie, tels des vestiges archéologiques, font penser aux dioramas de quelques musées d’histoire ou de sciences naturelles.
Le photographe brouille ainsi les frontières entre présent et futur, entre image documentaire et fiction. On se retrouve aspiré dans un récit anticipatif pas si éloigné du réel, d’autant plus que les protagonistes posant pour le photographe sont tous d’anciens nomades ayant dû renoncer à leur mode de vie traditionnel.
Lee réinvente l’esthétique paysagère et militante écologique. Ici, la bannière est une histoire, une fable, qui met en scène l’étrangeté et la cruauté du monde à la manière d’un conte de Grimm. Fantastique et macabre sous-jacent se retrouvent en tête à tête. En exposant le beau et le laid, ce qui existe et ce qui n’est plus, ce qui est et ne sera plus, Lee
parle bien des deux faces d’une même pièce et des dangers d’une vision partiale des choses.
Recourir à la fiction lorsque l’imagerie photojournalistique ne semble plus suffire pour parler des enjeux : c’est l’arme choisie par Daesung Lee pour mieux interroger, questionner et avertir des risques d’une société anthropocentrée. L’appareil photographique devient un étendard militant, le questionnement son mégaphone: Voici le réel, voici le bientôt-réel.
Lee nous place face aux choix qui s’offrent à nous: agir ou rester passif, mais en toute connaissance de cause.
Daesung Lee – Futuristic Archaeology
23.05.19 – 13.07.19
Galerie &CO119
119 rue Vieille du Temple
75003 Paris