Le Danois Joakim Eskildsen livre sa dernière série de photographies consacrée à Cuba, un pays qui a par le passé attiré nombre de grands photographes, comme Alex Webb, pour ces contrastes visuels. C’est le mélange singulier entre héritage colonial, manifestations du communisme moderne et effets du capitalisme avoisinant qui a capté l’œil du photographe, davantage évident dans les campagnes et provinces qu’à La Havane, cité de plus en plus cosmopolite et occidentale. Joakim Eskildsen, qui photographie encore au film, s’est ainsi éloigné du nord, visitant les régions plus reculées de l’ouest et du sud, notamment Santiago de Cuba, berceau de la vieille révolution des années 60 et gardienne des traditions.
Les images sont belles et iconiques. Dans un style très coloré mais légèrement désaturé, elles sont embellies par ce sens de la lumière dont Joakim Eskildsen a le secret. Des portraits de villageois, des paysages, des scènes du quotidien, des animaux, des objets aussi. Comme d’autres îles des Caraïbes, Cuba est un océan de verdure, abrité par un ciel à humeur variable, capricieux un moment, généreux au suivant. Dans les champs gambadent les enfants, se reposent un âne et son maître, partent au travail paysans et carrioles. Pour se confronter à la civilisation, il faut aller à la ville, celle aux maisons à deux étages et balcons en fleurs forgées, celle qui dissimulent des intérieurs qui ont vécu l’histoire et en parle en vieilles briques, murs décrépis, fenêtres et portes en bois, et couleurs extraordinaires. Dans les rayons du soleil se tient un marchand, dans ceux des lampes bleues un client. Le chat, lui, savoure les chaleureux de la mi-journée, ils caressent ses poils et lui donne de la compagnie, cette étrange silhouette qui lui ressemble et qui dresse les oreilles en le défiant d’un air sombre.
Quand il était fatigué de la terre, Joakim Eskildsen a pris le bateau. Pendant la traversée, la vieille dame au bandeau le fixe, tête reposée sur son poing, elle aussi a de l’histoire dans les yeux, l’histoire des fêtes décadentes des Américains, des combats pour la liberté, des années de richesse puis celles de disette, tout un roman, en un seul regard. A la maison, une poupée attend le photographe, elle ne parle pas mais semble le dévisager. Que fait cet étranger à ses côtés, alors que dehors les petits Cubains, bourgeons du pays, n’attendent qu’une chose : que Joakim Eskildsen saute avec eux dans cette petite charrette traînée par une chèvre et qui porte fièrement cette inscription : « Vivan los ninos ».