Jean-Marie Donat collectionne les photographies de sapins de Noël artificiels, celles figurant le logo Coca-Cola ou représentant des télévisions. Ce constat de départ nous amène à deux conclusions. Jean-Marie Donat possède une collection exceptionnelle ce qui est vrai. Jean-Marie Donat a des troubles de la santé mentale ce qui mérite d’être nuancé.
Quatre décennies de collecte de photographies qualifiées aujourd’hui de vernaculaires ont forgé cette collection. La valeur marchande de ces images est aussi hétérogène que leurs origines. Pour la plupart, la qualité de la prise de vue est discutable mais ce n’est jamais cela qui importe. Elles sont ce qui demeure de centaines de tranches de vie de centaines d’anonymes. Si elles existent, c’est parce que chacun des auteurs a été, à un instant T, convaincu de produire une photographie unique et qui compte. En marge de son activité d’éditeur, on peut affirmer que ce sont des dizaines de milliers d’unités que Jean-Marie Donat s’est appliqué à accumuler méthodiquement. Si cette pratique régulière, de l’ordre de l’hygiène de vie, ressemble de prime abord à une quête sans fin ni direction, il s’agit pourtant d’une démonstration argumentée par l’image.
C’est dans l’organisation méticuleuse de ces quelques 40.000 unités qu’il faut voir la véritable exception, l’originalité de ce fonds. Ces photographies glanées dans les salles des ventes ou sur les internets, dissimulent derrière le vernis de la légèreté un constat des plus grinçants. Que nous apprennent- elles sur nous-même ? Que nous sommes les architectes d’un monde malade, ivres de notre propre image que nous dupliquons à l’infini. Que nous nous acharnons à sceller nos existences dans la fuite du temps grâce à la photographie avec qui nous entretenons un rapport addictif et complexe.
Face à toutes ces images, Jean-Marie Donat nous propose un autre regard sur la photographie, à contre-courant des habitudes actuelles de lecture des images. Aujourd’hui on zappe, on scrolle, on déroule, on défile… A peine vue et consommée, l’image est déjà jetée. A contrario, cette collection met en avant des photographies difficiles à lire, à décrypter. Elle nécessite de s’approcher, d’entrer dedans, de tisser un lien. Comme si, pour les comprendre, il fallait s’abandonner à la mystique de l’image dans une sorte de dévotion à ce qu’elle pourrait révéler. Le diable se cache dans les détails, dans les arrière-plans, dans les minuscules écriteaux, dans les attitudes des personnages de second rôle. Précurseur, Jean- Marie Donat a fait de cette collection une ode au photobombing, bien avant qu’on ait pris la peine d’inventer un mot pour décrire ces intrusions involontaires en arrière-plan.
Jamais cynique, souvent ironique, l’humour est ici omniprésent. Il rend le message plus fort et le constat moins amer. Il ne faut y voir en revanche aucun jugement, ni mépris. Le collectionneur assume et revendique de faire partie du monde des hommes qu’il dépeint. La preuve en est : il est le premier à céder aux sirènes de la possession et de l’accumulation. Alors rions de ce monde qui tourne à l’envers, rions devant ces photographies qui, sans cette nouvelle destinée, auraient sombré au cimetière des images, tels des objets sans valeur condamnés à disparaître.
Audrey Hoareau
Co-commissaire d’exposition
Jean-Marie Donat
Né en 1962 à Paris, Jean-Marie Donat est éditeur, collectionneur et artiste. Il construit depuis plus de 30 ans un vaste corpus photographique autour d’une idée forte : donner une lecture singulière du siècle.
Les séries de photographies issues de sa collection font l’objet de livres sous forme d’éditions rares à tirage limité. Sa collection a donné à de nombreuses expositions, notamment aux Rencontres d’Arles (2015), à la Triennale de Hambourg (2018), à Image Vevey (2020) et au Centquatre-Paris (2021).
En parallèle de sa pratique artistique, Jean-Marie Donat dirige aujourd’hui l’agence de création éditoriale AllRight. Il a également fondé en 2015 Innocences, maison d’édition dédiée à l’image sous toutes ses formes.
La collection
La collection regroupe plus de 40.000 photographies, ekta (diapositives) et négatifs, provenant du monde entier. Elle couvre près d’un siècle d’histoire de la photographie (1880-1980).
Une part importante est composée d’images vernaculaires, anonymes, choisies pour le témoignage culturel et social qu’elles véhiculent, mais aussi pour l’humanité profonde qui en émane. À partir de ce matériel, il a constitué, entre autres, plus de 200 séries thématiques. Pour certaines, sa pratique artistique le conduit à en transfigurer le sujet.
Collection Jean-Marie Donat : Tout Doit Disparaître
Jusqu’au 12 février 2023
CRP / Centre régional de la photographie Hauts-de-France
Place des Nations
59282 Douchy-les-Mines / France
www.crp.photo
