Depuis douze ans, l’Association Nationale des Iconographes organise les lectures de portfolios pendant la semaine professionnelle du Festival International du Photojournalisme “Visa pour l’image» et reçoit ainsi plus de 300 photographes de tous horizons pour les conseiller et les orienter. Voici leurs coups de cœur !
Une jeunesse française de Sébastien Deslandes
Une sorte de vertige. Au bout de la nuit, ces immeubles vous dominent. Quelques éclats de voix sans visages donnent à cette ambiance des allures de film noir. Épinay Centre est déserte. Et les chantiers alentour, semés de gravats amoncelés en lieu et place des tours nouvellement détruites, ne contribuent aucunement à la douceur de l’atmosphère. Puis les cris deviennent des ombres. Et enfin des hommes. Plusieurs dizaines au pied de l’immeuble tiennent les murs d’une tour bien installée. Ils sont là depuis plusieurs heures. Ici c’est le lieu des grands, ils ont tous plus de 20 ans. Les plus petits ont trouvé refuge dans un hall à quelques encablures. Les habitudes sont rodées : on commence par se saluer, faire le tour du groupe y compris ceux qu’on ne connaît pas. Un check, une étreinte brève. On parle fort, vite, c’est même parfois difficile à comprendre pour le néophyte avec ce mélange propre aux quartiers, de verlans, d’argots et ces emprunts à d’autres langues. Le principe est pourtant simple. On vanne à tous crins les présents comme les absents. On fume des joints, on raconte sa journée, son travail et sa galère. Le tout sur le fond de musique déployée par la radio d’une voiture autour de laquelle on s’est positionné. Régulièrement, des véhicules passent, une main saluante en sort. Dans le même temps, certains sont déjà partis, remplacés par d’autres tout juste arrivés. Il est presque minuit. La ronde se poursuit, et la vitesse exécutante de ce jeu de scène vertigineuse. Une soirée comme une autre. Mehdi est au milieu, plongé sur l’écran de son jeu vidéo. Il a 18 ans, des traits fins surplombés par une petite boucle d’oreille, une casquette noire et une longue doudoune blanche qui vient lui lécher les pieds. D’habitude il n’est pas avec les grands, mais Rabah, une figure du quartier également président du club de football local, le surveille. Mehdi vient de passer sa journée en formation avec lui. « Je veux devenir éducateur sportif. » Une volonté qui n’a pas toujours été aussi affichée, entre déscolarisation et incartades régulières. « L’école ? J’ai perdu mon temps, j’ai redoublé plusieurs fois avant d’arrêter en seconde. J’étais en vente mais je ne faisais rien. Après mon BAC pro, je voulais faire un BTS mais finalement j’ai préféré tout arrêter pour travailler parce que je voyais que ça ne marchait pas pour moi. Et puis j’ai fait quand même pas mal d’erreurs. Je galérais avec les autres et la rue, c’est dangereux, les embrouilles, ca peut aller vite comme un coup de couteau. « J’ai été embarqué au commissariat. Jamais, j’aurais dû y aller. La première fois j’avais 15 ans et j’avais trouvé une sacoche dans la rue. Il y avait de l’argent dedans et une carte bleue que j’ai utilisée. Puis, une autre fois pour une bagarre. Très violente avec 21 jours d’ITT pour l’autre. Quand je m’énerve, je n’arrive plus à m’arrêter. » Sa mère s’est longtemps alarmée du chemin emprunté et de l’environnement qu’elle a vu se détériorer depuis 30 ans. « Ca a été dur de 14 à 18 ans. Le problème de Mehdi, c’est qu’il est influençable. Maintenant et depuis peu, il prend conscience qu’il y a autre chose que la cité. Il a été longtemps un courant d’air, il n’y avait plus de relations familiales. Ici tout peu allé vite et loin. Il vient de se prendre en main, mais je suis toujours inquiète. La formation, cela lui permet de sortir, d’aller voir ailleurs. »
Rabah avance en échos. « Si jamais on ne l’aide pas, il va aller dans le mur. Nous, on ne le lâche pas. »
Ils sont plusieurs ainsi à vouloir l’aider, lui comme beaucoup d’autres jeunes dans une situation similaire. L’association SFM fait partie de ces acteurs locaux qui tentent tant bien que mal de tirer les marrons, déjà largement rosis pour quelques-uns, du feu. Un véritable rôle de funambule dont s’acquiert Dalila, petit bout de femme énergique et directrice adjointe de SFM depuis plus de 30 ans. Cette association va chercher les jeunes là où ils sont, dans leur quartier, au pied des tours, sur le lieu de leur galère quotidienne. Cette mission exige des chargés de suivi travaillant avec Dalila une connaissance des quartiers et des jeunes afin de les convaincre d’intégrer un dispositif de remise à niveau ou de formation. L’argument premier est béton : pécunier. « Nous sommes ce qu’on appelle un pôle de mobilisation. Nous suivons les jeunes qui ont entre 18 et 25 ans, 500 à 600 jeunes par an. À cet âge, ils sont assez murs et prêt à discuter or l’idée centrale est de les accompagner dans leur projet professionnel. Nous leur proposons une rémunération sur 6 mois payée par le conseil régional. Quand tu es mineur, tu reçois 170 euros, quand tu es majeur, c’est de 300 à 600 et si tu peux justifier de 1000 heures de travail, c’est un peu plus de 600. Je crois que c’est utile. Ca motive beaucoup de gamins à venir, même si je sais que dans bien des cas c’est toute la famille qui va en bénéficier. Certains n’ont jamais travaillé, peu sont sortis de leur quartier, notre fonctionnement leur permet contre un travail qui les sert eux et leur avenir, d’entrer dans un cycle de formation et de travail. » Un travail de fourmis miraculeuses, une goutte d’eau en plein désert tant les besoins sont énormes et la contribution finalement limitée. Ces acteurs ont toutefois mis en place une plateforme, une manière de mutualiser les moyens des travailleurs sociaux. Véronique, directrice de SFM, l’explique. « L’intérêt, c’est de faire en sorte d’avoir une réactivité avec les conseillers des missions locales pour répondre à toutes les problématiques que peuvent rencontrer les jeunes que ce soit au niveau de la santé ou même du logement. » Ces initiatives semblent toutefois freiner par celles du gouvernement. En effet, dans le cadre du plan Espoir Banlieue, un appel d’offre a été lancé auxquels ont répondu des cabinets privés avec mission d’insérer eux aussi, les jeunes dans un parcours professionnel. Chaque jeune perçoit 300 euros. Quant au cabinet, il touchera 7000 euros par personne placée. Or devant la difficulté de démarcher les jeunes dans les quartiers sensibles, une lettre a été envoyée par le ministère aux missions locales pour qu’elles leur fournissent les listes de noms. Une démarche qui pose un certain nombre de questions. Tout d’abord ces listes ne sont pas composées des jeunes les plus désocialisés mais de ceux déjà attentifs aux possibilités de travailler. De plus elle coupe l’herbe sous le pied d’associations chaque année en difficulté pour boucler leur budget et maintenir leur pôle de mobilisation.
Salim, éducateur pour la ville voisine de Villetaneuse ne s’arrête pas là. « Il y a aussi un véritable problème dans les orientations des jeunes. En 3e , on leur demande 3 vœux, certains en mettent 4, ca a été fait à l’arrache sans réelle réflexion et finalement ils sont orientés sur le 4e. Et, selon ton quartier, il y a des BAC pro spécifiques. Ici, on a l’impression qu’il y a tous les futurs vendeurs et comptables de France. Mais si tu veux être mécanicien dans l’aéronautique par exemple, tu dois faire 100 kilomètres et tu n’as pas forcément les moyens d’aller à Beauvais ou ailleurs. » Aboudlaye, 27 ans dont l’oreille traînait ajoute : « Ici on a tous des BEP même de métiers qui n’existent plus. Ils nous envoient au casse-pipe, mais on est prêt à faire n’importe quoi. »
Ce matin, Yannis, 17 ans, s’est pourtant levé tôt. Ce qui n’est plus dans ses habitudes depuis qu’il a « démissionné de l’école ». Lui aussi en a assez de traîner à la cité et de ne rien faire. Il a arrêté l’école en 3e et souhaite désormais travailler. Son idée sur la question reste toutefois peu précise. « J’ai envie de partir d’ici. Je veux faire de la vente. Avant je voulais faire pâtisserie, mais ils m’ont dit que c’était trop dur. Il fallait se lever à 3h du matin, c’est pas pour moi ca. Je vais faire vente pour travailler dans les fringues, ils m’ont dit prêt à porter, j’aime bien ca. » Il a donc pris le chemin de SFM pour débuter une formation. » Il y croisera peut-être Moussa, 19 ans qui revient à SFM pour la seconde fois. Il était déjà venu pour formaliser son projet professionnel. Il aura pu faire des stages dans le carrelage et la peinture mais faute de patron il n’a jamais pu valider sa formation. Alors il est revenu. Dalila le connaît bien. « C’était difficile avec lui, il était dissipé. Un jour il venait le suivant il n’était pas là. Il fallait l’appeler, être toujours derrière lui pour qu’il vienne. En plus, il a un enfant, mais sa mère ne le sait pas. Il va intégrer une nouvelle formation et retravailler son projet. »
La routine.