C’est mon coup de coeur du mois et quand je lui ai dit, il m’a répondu:
“J’ai contacté à l époque plus d’une fois PHOTO sans réponse et c’est vous, son ancien rédacteur-en-chef, qui apprécie ma danse, qui va la présenter aujourd’hui.
Vous me faites un énorme présent et réalisez un rêve de plus de cinquante ans…”
Je corrige donc une erreur de 50 ans et j’en suis heureux !
Jean-Jacques Naudet
1967, j’ai commencé ma vie de photographe par pure hasard, j’avais tout simplement besoin de travailler et de mauvais jours en mauvais jours, je suis arrivé dans un studio de photographie.
J’avais dix-huit ans et dès mes premiers pas dans cette énorme boîte à lumière, j’ai appris à passer l’aspirateur, faire la poussière et la vaisselle entre un vrai photographe, de vrais assistants et des mannequins plus âgées que moi, elles avaient au moins vingt ans.
Jour après jour, on me raillait moins, un peu comme à l’école et jour après jour, j’ai appris à jongler avec les dos « Hasselblad » à charger, changer les fonds, prendre les temps de pose avec une grosse cellule « Gossens » à la main, nettoyer les optiques et encore l’aspirateur à passer.
Heureusement j’avais Jean-François premier assistant, un grand au regard rieur qui savait tout et me guidait pour chacun de mes pas, il l’a fait ensuite toute sa vie et désormais il me guide d’ailleurs…
J’ai aussi découvert le laboratoire, les mises au point sur un « Durst » énorme, les nuits de tirages, le bruit lancinant et bruyant de la glaceuse et les courses folles après les prises de vues pour aller à Sevran au laboratoire Kodak y déposer les pellicules « test », pour les ektachromes…
Tout ça pour quelques francs ou pas, un repas chaud et un lit à l’abri dans un coin du studio, avec pour m’endormir l’immense bonheur d’apprendre…
Un jour, j’ai rencontré Jean-Jacques un photographe de mode ami de Guy Bourdin, il arrivait en ligne droite de New York et du magazine Vogue dans une vieille Bentley…et Nikon F à la main, c’est devenu « celui qui m’a tout appris » sur le mouvement, la beauté des femmes et l’amitié de toujours.
Faut vous dire, que l’on vivait les années « Blow Up », Antonioni s’était intéressé à notre monde et de larges séquences de son film projetaient nos vies d’assistanat sur les écrans des grands boulevards, mais avait-il compris qu’on ne jouait pas ?…
Je saute pour faire court, armée cheveux rares pendant 18 mois, c’est beaucoup et ça fout en l’air le premier rêve, car d’autres ont pris votre place, quand vous, vous faisiez du surplace et des demis-tours…
Pour moi, le retour chez les civilisés ne fut pas problématique et je me suis laissé faire par le hasard, mais pas n’importe lequel, la photographie, c’était bien, mais l’univers de l’image, peut-être un peu mieux…et puis tout bougeait et tout changeait, le gris laissait sa place à la couleur, les filles devenaient plus désirables que jamais…
La mise en page m’a fait un clin d’oeil et j’ai accepté d’ouvrir sa porte.
Nous étions en 1971, en pleine révolution visuelle et je l’ai vécu, d’abord en agence de publicité comme maquettiste, directeur artistique junior, puis comme chef de studio de création.
L’industrie du disque vendait des vinyles de toutes les tailles à n’en plus finir, mais les pochettes étaient lamentables et quand on les comparait aux « Made in USA », tout devenait une horreur.
1973, avec un ami imprimeur, autour et après plusieurs verres, l’idée nous vint de créer le premier studio destiné à la pochette de disque française en recrutant de vrais photographes, de vrais illustrateurs…succès immédiat et angoisses immédiates avec les caprices de stars et les nuits lourdes jusqu’aux petits matins vaseux, à la sortie de chez Castel à Saint-Germain-des-Près.
J’ai mis un arrêt brutal à ma situation et je me suis dirigé vers la radio, j’ai assisté un homme de cinéma Remo Forlani et avec lui j’ai appris le plateau, la direction de photographie et la mise en scène, c’était RTL, ses grosses têtes, ses routiers sympas, mais un jour de spleen, j’ai encore une fois changé de cap pour une autre espérance…
1981, les radios s’installent dans les cuisines ou dans les salles de bains, elles étaient libres et tout le monde y allait de son jingle…moi, j’ai pris la direction du sud, à Nice, c’était encore confortable et j’ai pris la direction des programmes d’une presque vraie radio pleine de soleil.
La photographie ne me titillait toujours pas et elle s’était vraiment éloignée de ma vie, mais j’avais gardé un contact avec mon ami Jean-Jacques et sa mode, de temps en temps, au téléphone, on se disait : Tu vas bien ?…à bientôt, et bises.
D’abord j’écris un livre sur les maquettes volume pour les « Éditions Atlas » et puis je fais un saut à Saumur d’où je vante la cavalerie, mais pas celle à quatre pattes, celle avec des chenilles et de gros canons.
Et, plus rien, je suis à Nice, il fait beau et je m’ennuie, mais un jour de février je reçois en cadeau d’un très jeune neveu un petit « Fuji » numérique…un petit mot accompagnait la machine qui m’expliquait qu’il me fallait un ordinateur et que et que et que…ça m’a amusé et intrigué…ça marchait !
Je me suis réveillé d’un coup, d’un seul, j’ai remis mon oeil dans le cadre et tout s’est remis en place et j’ai appuyé sur le déclencheur de ma seconde vraie vie.
Photographe ?…Ne vous inquiétez pas, on n’y arrive.
Fuji, c’était mini, mais 1.500.000 pixels les gars, c’était pas rien en 1996…et je vends mes premières photographies à l’Office de Tourisme pour leur site internet qui ressemblait à une véritable usine à gaz…mais c’était toujours ça.
Ma vie n’a été faite que de rencontres qui m’ont permis et heureusement pour moi de n’ouvrir que de bonnes portes…la danse était loin, j’étais dans la F1, Monaco oblige…
2001, je m’équipe pro : un Nikon D1X, la définition était au top, un 70/200 et un 35/70, j’avais beaucoup d’envieux autour de moi, notamment les photographes de la presse locales qui travaillaient toujours avec de vieux « Canon » argentiques, l’un d’eux m’avait même dit : ton truc numérique, ça ne marchera jamais…
2002, au détour d’une table de la « Brasserie de l’Opéra » dans le vieux Nice, ma nouvelle destinée se précise en rencontrant par hasard, Jean-Michel, maître de ballet de l’opéra et jeune ancien danseur de Maurice Béjart…Mon premier pas de deux, n’est plus très loin.
Je photographie mon premier ballet et déjà, Monaco me refait un clin d’oeil, mais cette fois c’est l’art lyrique et ma rencontre avec son nouveau directeur qui après quelques minutes, me propose d’y faire des photographies de ses opéras et pourquoi pas : Levons le rideau !…
Rendez-vous est pris en décembre 2007, je n’en sortirai que quinze années plus tard en décembre 2022, après avoir photographié les plus grandes voix de ce siècle et du dernier…Rolex m’ouvrira ses portes grâce à un portrait de l’immense Cecilia Bartoli, qu’ils conserveront quelques années.
Nikon France s’intéresse à mon travail en basses lumières et je me prépare à participer au Nikon Tour 2008, je rentrerai de ce périple en France avec un « Nikon D3 » flambant neuf et une belle collaboration qui dure encore aujourd’hui…
C’est avec les ballets de Monte-Carlo que je vais entrer vraiment dans la danse, pour ensuite photographier les plus grandes compagnies Internationales et arriver aux portes du temple du ballet : le Bolchoï ballet de Moscou.
2016, l’agent de la très grande danseuse étoile moscovite Svetlana Zakharova me demande de faire en exclusivité les photographies de son spectacle à Monaco, chose faite, il choisit l’une d’elles, et elle illustrera sa tournée mondiale.
La porte du temple étant ouverte, je vais ensuite photographier tous les danseurs et danseuses de extraordinaire compagnie et faire de la Place Rouge, mon lieu de promenade du petit matin…
Le 24 février 2022, tout s’arrête brutalement avec la Russie et sa danse : l’Ukraine flambe, mauvais scénario et le rideau tombe.
Abasourdi je me relève et me remets en route, avec un nouveau projet qui m’a pris deux années en Espagne avec le Flamenco et son univers flamboyant : Antonio Gades, Antonio Najarra, Le ballet National d’Espagne et la belle flamenca Maria…
2024, tout est prêt, les dernières photographies sont traitées et j’en ferai dans quelques mois peut-être une nouvelle exposition, malgré le mal de tête et de porte feuille dont la France est atteinte…
Alain Hanel – photographe de scène.
PS : Toutes mes photographies sont réalisées en « live », je n’utilise jamais de studio car l’art vivant ne l’est que sur scène et pas ailleurs.