LA SUBVERSION DES ANNÉES 70 par Coline Olsina
Au tournant des années 1970, une nouvelle génération dynamita la photographie. Laboratoire d’expériences multiples et subversives, cette nouvelle photographie puisait son inspiration dans les grands courants de la pensée qui irriguaient la société comme le nouveau roman, la psychanalyse, la libération sexuelle ou encore la culture alternative. S’inscrivant essentiellement dans une dynamique européenne et nord-américaine, elle apparut comme un moyen d’expression propre à interroger les problèmes de la société tout en libérant l’imaginaire intérieur de ceux qui la pratiquaient.
Elle bénéficia des avancées technologiques qui permirent une plus grande souplesse d’utilisation et de l’ouverture à des horizons nouveaux, aptes aux métamorphoses, aux transgressions fantastiques, à la théâtralité et aux obsessions formelles. Des créateurs interrogèrent la photographie de l’intérieur, cherchèrent à comprendre sa spécificité ou la pratiquèrent comme une philosophie de vie. D’autres encore au sein de l’art contem- porain l’interrogèrent en la plaçant au centre de leur intérêt. Certains jeunes reporters revendiquèrent leur statut d’auteurs à part entière pour s’exprimer dans la presse alors en plein renouveau.
La photographie irrigua progressivement la société tout entière et se mit à révolution- ner tous les arts. Une nouvelle vague de créateurs passionnés et inventifs, avec leurs habitudes et leurs lieux de rencontres eurent leur moment de reconnaissance éphémère, participèrent à leur façon à rendre populaire une pratique artistique à la portée du plus grand nombre. D’autres, plus rares, construisirent une œuvre qui les installa dans un nouveau marché qui se structura autour des galeries et des musées.
Ainsi, la photographie devint en une dizaine d’années un contrepoint idéal à l’élitisme de l’art, et sans doute créa-t-elle l’illusion d’une pratique accessible à tous, à un public à la fois populaire, jeune et festif qui ravissait les foules, contrairement à l’art contemporain qui conservait l’image d’un art inaccessible.
Cette décennie, qui jeta les bases de la photographie telle que nous la connaissons aujourd’hui, n’a jamais été analysée comme un moment capital de l’histoire de la pho- tographie française. Il s’agit ici de restituer le ton et la liberté de l’époque durant laquelle explosèrent les courants et les diverses tendances souvent opposées dans une sorte de feu d’artifice libre et créatif qui ne s’est jamais plus reproduit.
Coline Olsina
AVEC ET MALGRÉ L’ÉCOLE par Hervé le Goff
Ils étaient pour la plupart nés dans une paix retrouvée, avaient grandi sans toujours se rendre compte qu’ils traversaient avec leurs respectés aînés une période plutôt faste qu’on retiendrait comme celle, unique, des Trente Glorieuses. La tourmente de 1968 leur apprenait que, établie dans son immémorial schéma vertical, la transmission des savoirs méritait d’être mise en contestation, au même titre que le régime d’une Ve République, fatigué par onze ans de figure personnelle du pouvoir. Devenus grands, ils surfaient sur les retombées de la vague du printemps européen de 1968, rejoignaient les festivals pop, manifestaient contre la guerre que l’Amérique faisait au Vietnam, se passaient les textes de Wilhelm Reich, du tandem Deleuze-Guattari, citaient Roland pour Barthes, suivaient une mode qui imposait les cheveux longs pour les garçons, les tuniques et les perles pour les filles, le velours et les fleurs pour tous. Ils entendaient par ailleurs le discours d’une sexualité ouverte et heureuse, radicalisée par l’arrivée du Front homosexuel d’action révolutionnaire, ses assemblées générales du jeudi soir à l’école des Beaux-Arts. Bref, ils se fondaient dans cette décennie de tous les possibles, portée par la pop culture, bercée par les LP vinyle aux pochettes délirantes de groupes écoutés en boucle sur les effluves de santal et de patchouli, parfois en descente de trip, fondée sur l’idée toujours renaissante de l’émancipation du vieux monde qui ne redoutait alors que l’apocalypse nucléaire d’une guerre froide, les symptômes du cancer ou la sanction de la syphilis.
Au milieu de cette effervescence existentielle aux allures de revanche sur l’emprise de l’école, des familles et des pudeurs, la pratique de la photographie s’invitait auprès d’un public jeune, certes sensible à la production des maîtres nommés Cartier-Bresson ou Doisneau, mais que séduisaient de nouveaux modèles venus des studios de la mode, du reportage de guerre ou de la presse people, de tout un panthéon de l’image fixe d’où surgissait l’ineffable David Hemmings, photographe improvisé voyeur du Blow Up d’Antonioni. Oubliée la silhouette experte du père au trépied ou de l’oncle aux manettes du Vest Pocket Kodak à soufflet : l’arrivée d’appareils japonais, alternative accessible d’une production allemande Zeiss ou Leica restée chère, exauçait le désir d’une jeune génération de s’emparer de la photographie comme le moyen de s’exprimer et même d’exister, sans toujours savoir que son Nikon ou son Canon réveillait, à quarante ans de distance et sur d’autres modes, l’élan de la nouvelle photographie, forte de nouveaux maîtres pour la plupart venus de l’Est, stimulée par l’ouverture de galeries dédiées et l’émergence d’une presse spécialisée, et qui, en son temps, refermait le pictorialisme sur ses albums. Ce retour d’une photographie qui côtoyait sans complexes la peinture et le cinéma voyait apparaître ses propres revues : à la suite du succès de Photo des éditions Filipacchi, Photo Magazine, Zoom, Photo Reporter, Contrejour rejoignaient en kiosque le mensuel Le Photographe qui portait beau ses soixante années de parution, depuis sa création en 1910 par l’éditeur Paul Montel.
Hervé le Goff
70′ NOUVELLE PHOTOGRAPHIE FRANÇAISE
Contrejour
Carole Naggar, Coline Olsina, Hervé Le Goff et Claude Nori
Format : 24 x 31 cm
244 pages, relié
ISBN: 979-10-90294-52-3
Prix : 40 euros
https://www.editions-contrejour.com/project/nouvelle-photographie-francaise-70/