Il s’agit du vingt et unième dialogue de la Collection Ettore Molinario. J’ai le plaisir de commencer 2023 en mettant en scène une rencontre imaginaire entre Consuelo Fould et Cindy Sherman. Peut-être peu se souviennent de la première, pourtant on peut la considérer comme une pionnière de ces problématiques que l’artiste américaine traite depuis maintenant quarante ans. Ce dialogue est donc un vœu et un hommage aux femmes qui se battent encore pour leur identité et leurs droits. “Zan Zendegi Azadi”, les femmes, la vie, la liberté, crient les femmes en Iran. Et quel que soit notre sexe, nous sommes avec eux.
Ettore Molinario
Notre destin est né avec notre nom. Et le destin de Consuelo Fould, peintre et inventeur français, commence en 1861 lorsque sa mère, Valérie Simonin, comédienne et écrivain, choisit pour sa fille le nom de la protagoniste d’un roman de George Sand, précisément Consuelo. Et comme Sand, pseudonyme d’Amantine Aurore Lucile Dupin, Valérie s’est donnée une identité masculine, celle de Gustave Haller, pour signer ses livres, parmi lesquels L’enfer des femmes. Même la deuxième fille de Valérie, autre peintre de la famille, choisira d’être idéalement un homme, signant les toiles du nom de Georges Achille-Fould, où Georges rend hommage à son beau-père, le prince Georges Stirbey tandis qu’Achille honore la mémoire de son grand-père, Achille Fould, ministre des finances de Louis Napoléon Bonaparte.
Dans cette jungle de noms, qui transforme l’identité féminine et la renforce dans le passage au masculin, Consuelo Fould décide de prendre un autre chemin et réaffirme son droit à garder son nom, s’émancipant en tant que femme de talent. C’était une femme qui avait un grand désir de réfuter Voltaire, alors que le philosophe se plaignait de connaître “des femmes très sages aussi bien que des femmes guerrières, mais jamais des femmes inventrices”.
En 1897, le premier journal dirigé, édité et même administré par des femmes seules, La Fronde, voit le jour en France. Et parmi de nombreuses intuitions Marguerite Durand, rédactrice en chef de la revue, eut celle de donner des nouvelles des brevets nés du génie féminin. Entre 1899 et 1903 La Fronde dépose 531 brevets dont cinq, concernant différents modèles de corset, appartiennent à Consuelo Fould. En 1919 cette peintre très moderne dans un style presque publicitaire – ses portraits feront la couverture des premiers magazines illustrés – avait également déposé le brevet d’une poupée articulée et avait photographié ses créatures dans une série d’images qui exaltaient la ductilité des poses et rôles.
Certes l’histoire de l’humanité n’a pas changé de cours, pas même avec l’invention d’un clou spécial tapisserie, autre brevet Fould, mais on est captivé par l’ironie d’une femme qui s’annonce inventrice en insufflant mobilité, donc souffle, chaleur et le changement, aux stéréotypes du monde féminin. Est-ce un hasard si l’Opéra Garnier célèbre en 1920 la quatre centième représentation du ballet Coppélia, l’histoire d’une poupée mécanique qui prend vie ? Coïncidence, voudrions-nous ajouter, si au début des années 1980 Cindy Sherman commençait sa longue et extraordinaire analyse de la féminité en réinterprétant les “poupées”, les stéréotypes du cinéma hollywoodien ?
En 1983, Dianne Benson a l’idée d’impliquer Sherman pour promouvoir les vêtements les plus originaux de sa boutique de SoHo. Et l’artiste, fidèle à sa vision autobiographique, a porté ses vêtements et pris la pose de centaines de modèles devant elle, dénonçant la rigidité et la soumission des femmes à la norme de beauté imposée par la mode. Si Cindy avait été une fille du début du XXe siècle, dans un bustier en corde et perles, elle aurait pu jouer avec les acrobates de Consuelo Fould. Elle aussi basculerait à l’envers. Et elle aussi, au nom de la mère, de la fille et de l’esprit du nouveau siècle, aurait breveté un autre destin.
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