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Collection  Ettore Molinario : Dialogues #28 : Collection Paolo Gioli

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Il s’agit du vingt-huitième dialogue de la Collection Ettore Molinario. Un dialogue né de l’entrée dans la collection de l’un des plus grands artistes italiens, Paolo Gioli, précisément quarante ans après sa célèbre exposition au Centre Pompidou à Paris en 1983. Dans un miroir plus que dans un dialogue cette fois, puisque les images se ressemblent tellement. Il y a deux gouffres, deux tranchées pour pénétrer dans le monde d’eros et de thanatos.

Le 26 juin 1917 fut l’une des nombreuses journées de la Première Guerre mondiale. Les navires américains étaient arrivés au port de Saint-Nazaire, en Bretagne, et avaient débarqué les premiers quatorze mille soldats, prêts pour le massacre. Sur le front italien, les troupes alpines livraient la célèbre bataille d’Ortigara contre les Autrichiens. En Roumanie, à huit heures du matin, le sergent-pilote Iliescu volait à une altitude de 2.100 mètres et de cette hauteur le sous-lieutenant-observateur Ioanid avait photographié une très longue tranchée. Depuis l’avion, cela ressemblait à une rivière arrosant les champs ; une mince route était parallèle au cours d’eau puis se divisait et le long de l’hypoténuse elle rejoignait les coins d’un triangle imaginaire. Aucune trace des hommes qui vivaient dans ce sillon creusé dans la terre, zigzaguant tous les dix mètres pour éviter qu’un tir ne vise toute la tranchée. Les cris, le désespoir, la maladie et la mort ne sont pas arrivés jusqu’au le ciel. Trop lourd, trop dense. C’était la censure des hauteurs, une manière de prendre ses distances avec la guerre et son horreur.

Déjà en 1859 Gaspard-Félix Tournachon, dit Nadar, avait photographié Paris d’en haut, emportant avec lui un appareil photo à bord d’un ballon. Mais lorsque, la même année, Napoléon III lui propose cinquante mille francs pour réaliser une topographie aérienne de la campagne militaire d’Italie, Nadar refuse. En fantasmant, on imagine la raison : Nadar, le grand maître du portrait, l’homme qui représentait les hommes et les femmes comme des monuments de la vie, avec ces corps, ces visages, ces regards si vrais, cet l’homme ne supportait pas d’être au service. de ceux qui, grâce à la photographie, auraient voué ces mêmes corps à la souffrance. Cela s’est produit presque cent ans avant le drame moral de Robert Oppenheimer, le génie qui, au lendemain de l’explosion de la bombe atomique, disait de lui-même «maintenant je suis devenu la Mort, la destructrice des mondes». Nadar avait choisi. À sa manière, il était pacifiste.

Dans le domaine des correspondances imaginaires, Nadar aurait beaucoup aimé le travail de Paolo Gioli, car aucun autre artiste que Gioli n’a exploré non seulement le mystère et la beauté du corps, mais aussi le temps pour le capturer – dans son célèbre Photofinish – avec la distance. pour valoriser la matière, sombre et menaçante chez les Sconosciuti, charnelle dans le magnifique Naturae, à laquelle appartient l’image de la collection. Réinitialisant les coordonnées de l’espace et ouvrant sur une autre profondeur de champ, Paolo Gioli avait posé une feuille de papier blanc sur un corps et dans l’obscurité de son atelier il l’avait éclairé avec un flash. La lumière extrêmement violente, presque comme une explosion, avait traversé le papier, révélant au contact ce qu’elle avait rencontré : une vulve, ses lèvres en cœur, ses humeurs, ses bourgeons poilus, et ce vide noir qui attire et multiplie la vie et la peur de vivre. Une autre tranchée dans laquelle s’enfoncer, une tranchée chaude de femme et d’épouse de la nature dans laquelle jouir et mourir. C’est l’angoisse des hommes qui, en temps de paix, s’immergent dans l’abîme féminin et qui, dans la guerre, le recherchent en creusant la terre.

Ettore Molinario
www.collezionemolinario.com

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