L’œuvre de Christian Tagliavini est l’aboutissement d’un lent travail d’approches et de révisions. Celui d’un œil et d’une main en mue perpétuelle et obsessionnelle. Mais il s’agit de dégager des constantes, de laisser des traces lisibles. Le corps s’ouvre et se referme. Yeux même fermés, le visage s’ouvre. D’autres paupières se soulèvent dans la mémoire là où le corps s’expose comme énigme. Se montre, se cache, pense. Se pense. Le pulsation lourde sourd du plus profond mangé d’ombres qui s’éclairent loin des mots, pour le cœur, l’émotion.
Christian Tagliavini avec sa série « 1503 » reprend à sa main les portraits du peintre de la Renaissance Bronzino. Les photographies à la fois transposent et métamorphosent l’iconographie de l’époque. Le pictural se modèle de manière plus frontale et abrupte. Sous le « plat » horizon de chaque photo surgissent à la fois la profondeur du temps et une vision d’un dicible étrange.
L’artiste italo-suisse traque ce qui manque à l’image et au portrait – à savoir son image absente (impossible ?) à travers ses prises. Il resserre leur existence sans chercher à « intellectualiser » et c’est là l’essentiel. Car le photographe sait que tout reste toujours à monter, à découvrir. Par ses prises et recompositions, hommes et femmes jaillissent de manière plus impertinente que dans les originaux. L’identité de carnation (à savoir ce que l’être a souvent de profond) se fait plus prégnante et la perfection plus grande. Dans ces œuvres Christian Tagliavini retient ce qui gonfle l’émotion non sans un effet de froideur. D’où l’élan de telles photographies : sous le (beau) prétexte de la reprise, est remisée une donne pour accorder une forme d’éternité au style et au temps.
D’images en images, les reprises par Christian Tagliavini de la peinture de Bronzino trouvent une nouvelle prestance et présence dans ce qui tient pourtant d’une fidélité à l’original. La photographie renverse la peinture tout en conservant sa constance, ses mythologies, ses énigmes. Le changement de médium produit un brassage. Il accorde à l’image une puissance différente. L’artiste traverse divers pans de l’histoire de l’art jusque dans la salle d’attente du bon docteur Freud, en une forme de science-fiction « à l’ancienne ».
Dans ces voyages à la Jules Verne existent la recherche du désir insatiable des origines et celui d’un vertige optique. Le corps sourd à nouveau de la nuit par la lumière. D’où ces images d’un érotisme glacial qui renvoient au cœur du vivant dans un face à face chaque fois recommencé. Tagliavini poursuit avec haute technicité le moyen de chercher l’image muette, sourde qui n’ajoute rien mais de retranche pas plus.
Une certaine vacance est brisée là où demeure volontairement quelque chose qui fait défaut au sein de la recherche d’un innommable de la beauté. Les portraits plus que revus sont volontairement « brouillés » – mais de la manière la plus nette afin qu’ils s’illuminent. Ils parlent le silence, « imagent » un désir en un geste parfait : celui de la pose, celui de la prise mais aussi d’un inaccomplissement programmé afin de ne pas tout « mâcher » le travail du regardeur. Avec humour et froideur Tagliavini par son art du portrait ramène à un pastiche des aubes de la photographie et de la peinture réaliste du XIXème siècle. Mais ce voyage est moins vers le passé que pour l’anticipation.
Jean-Paul Gavard-Perret
EXPOSITION
Voyages Extraordinaires
Photographies de Christian Tagliavini
Du 12 décembre 2015 au 27 février 2016
Camera Work
Kantstrasse 149
D-10623 Berlin
Allemagne
Tel +49 30 31 00 77-3
http://www.camerawork.de