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Chrétiens d’Orient : 2000 ans d’histoire

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« Crétin d’Orient » me disait mon père. « Deux mille ans de crétinerie. » Avec les années, j’ai découvert que le moins chrétien des crétins, mon père, l’était tout de même un peu. Il m’a baptisé, inscrit dans une école catholique et sa vie, il veut la conclure au Père Lachaise, dans un cercueil, une tombe avec une croix dessus. Je crois même qu’il nous rassemblera autour d’une messe le jour d’après sa mort. Maronite de père et de mère, je suis. Un fardeau. Et un cadeau. Être chrétien d’Orient c’est être accepter partout et nulle part à la fois. C’est être à sa place en Europe et au Moyen-Orient comme ne pas l’être du tout. Se trouver toujours un peu à côté de la plaque.

L’expression « chrétien d’Orient » est française. Apparue au XIXe siècle, elle définit des populations qui vivent dans un espace allant de la Turquie à L’Iran. L’exposition Chrétiens d’Orient, 2000 ans d’histoire à l’Institut du monde Arabe à Paris (IMA) s’intéresse en particulier à la « Terre Sainte » et aux territoires actuels de la Syrie, du Liban, de l’Egypte, de la Jordanie et de l’Irak. Cet espace, tour à tour romain, byzantin, musulman, ottoman avant de connaître le mouvement des nationalismes arabes, est aujourd’hui au centre des préoccupations. Des sujets qui font souvent la une de nos journaux. Nul besoin de les énumérer.

Des icônes byzantines ou ottomanes, aux bouteilles décorées de cènes monastiques jusqu’aux premiers ouvrages imprimés en langue arabe, les deux tiers de l’exposition regorgent de fresques et reliques, de pièces uniques et inédites. Comme l’évangéliaire de Rabbula. Manuscrit enluminé sur papier retrouvé en Syrie et daté du VIe siècle ou l’on découvre la première représentation de la Crucifixion tel qu’elle est racontée dans les évangiles. Le Christ est à la fois homme et divin. Dans son manteau royal, le sang coule. À ses côtés, la Vierge pleure.

« Il y a des gens qui la voient, il y a des gens qui ne la voient pas. Il y a peut-être un message dans tout ça. » dit la mère du réalisateur Namir Abdel Messeeh dans son film La Vierge, les coptes et moi. En 1968, un an après la guerre des Six jours, la ferveur populaire qui a suivi l’apparition de la Vierge dans le quartier de Zeitoun au Caire a témoigné de la nécessité de se tourner vers une figure protectrice. Autour de l’extrait du film, des images. La fin de l’exposition se consacre à la photographie et la vidéo. Du Liban, de Syrie ou d’Egypte, les photographes Houda Kassalty, Nabil Boutros, Katharine Cooper ont capturé les autels, pendentifs, icônes, objets de la Vierge, du Christ et d’autres Saints qui ornent les rues et les intérieurs. Marquer une présence mais aussi se protéger. Comme dans les images de Hawre Khalid ou la protection passe par des armes tenues par la milice chrétienne d’Al Qosh, au Nord de l’Irak. Ville jamais été prise par Daesh.

L’histoire des chrétiens d’Orient est multiple. Les écritures divergent et les points de vue aussi. L’artiste Dor Guez ajoute lors d’une interview accordée à la revue Exerbiner : « Je pense que la seule façon de lire l’histoire est de raconter des histoires personnelles, car chaque récit officiel est présenté par des intérêts politiques et un certain contexte national. Je crois qu’à travers le personnel, on peut aller plus loin que cela. » D’un père arabe chrétien et d’une mère juive israélienne, il raconte avec ses images de famille son histoire et à travers elle, celle d’un peuple, d’un pays et d’une région. À la suite de ce projet photographique, il crée les Archives chrétiennes palestiniennes, seul fond d’archive de cette communauté. Minorité dans la minorité, souvent forcé à l’exil, archiver devient ici une arme pour s’assurer le cours de sa mémoire. Les images du clan des Azeizat de Mâdabâ gardées dans l’école biblique d’archéologie française relèvent aussi du même combat.

Être chrétien d’Orient, ce n’est pas grand-chose. Cela n’a pas plus ou moins d’importance qu’être juif ou musulman. D’Orient. Nul besoin d’afficher N (N pour Nazaréen) en arabe sur ma veste sauf si j’y accole les lettres J, M et A pour Athée. Autant ne rien mettre. Comme l’écrit Amin Maalouf dans Les identités meurtrières : « S’enfermer dans une mentalité d’agressé est plus dévastateur encore pour la victime que pour l’agression elle-même. » Ce qu’il reste encore de mieux à faire, comme nous le montre les images des mariés de Roger Anis, c’est vivre comme si de rien était. Ou presque.

 

Sabyl Ghoussoub

Sabyl Ghoussoub est journaliste et photographe et a été entre 2011 et 2015 directeur du festival du film Libanais à Beyrouth.

 

 

Chrétiens d’Orient – 2000 ans d’histoire
26 septembre – 14 janvier 2018
IMA – Institut du Monde Arabe
1 rue des Fossés Saint-Bernard
75005 Paris

www.imarabe.org

 

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