A Shanghai, ce qui a le plus évolué au cours des dernières décennies, c’est le “hardware” urbain : les bâtiments, les routes ou le réseau des transports publics. Les plus hauts immeubles du Shanghai de mon enfance ne dépassaient pas une vingtaine d’étages. Aujourd’hui, on parle d’une centaine d’étages et de chantiers comme celui de la Shanghai Tower, soit plus de 500 mètres de haut. Petit, jamais je n’aurais imaginé que nous serions capable bâtir quelque chose de si haut un jour ! Mais la réalité shanghaienne, c’est justement ce lot permanent de nouveautés et de surprises. Et chaque fois que je traverse le fleuve Huangpu, je trouve toujours aussi fascinant ce contraste qui saute aux yeux : à gauche s’étalent les anciens bâtiments du Bund, notre héritage historique ; à droite se dressent les gratte-ciel modernes de Pudong, notre présent. Pour moi, il ne s’agit pas d’une ville détruite mais d’une ville qui s’est développée sans renier son passé. Le rôle des nombreux étrangers arrivés à Shanghai depuis les années 90 a joué dans le processus : ils nous ont appris à mieux gérer notre ville et à nous comporter de manière plus respectueuse vis-à-vis des autres, notamment dans les espaces publics. Enfin, depuis que Shanghai s’est transformé en centre financier, la plupart des usines ont été déplacées, les espaces verts ont gagné du terrain, la pollution diminue. Tous ces changements ont eu lieu directement sous mes yeux, avec une nette accélération avec la préparation de l’Expo universelle de 2010, ce qui m’a permis d’assister en direct et de photographier de nombreux bouleversements urbains. J’ai eu de la chance. La génération de mon fils, aujourd’hui bébé, n’en aura probablement pas autant. Les bâtiments emblématiques auront déjà été érigés, tout sera déjà en place, comme c’est le cas dans une ville comme Paris. En revanche, il n’aura pas la pression matérielle que les gens de mon âge qui travaillent sans relâche pour acheter un logement dont les générations suivantes pourront profiter.
Yin Liqin
Yin Liqin est né à Shanghai en 1982. Il a grandi dans une étroite maison du centre-ville, où il a fait des études et s’est marié, et il n’envisage pas de pouvoir vivre ailleurs que dans cette bouillonnante mégalopole. Car même si son métier de photojournaliste lui a déjà donné l’occasion de parcourir le monde — de l’Australie au Moyen-Orient —, Shanghai reste sa base de vie et son sujet de recherche favori : « Mon appareil me sert à mieux suivre les changements cette ville, à garder une trace de son histoire, de l’habitat traditionnel et de la vie communautaire qu’on y menait, en fait de tous les endroits que j’ai connu petit mais qui sont en train de disparaître». L’appel de la photo s’est fait naturellement, mais sans hâte. Adolescent, Yin Liqin aimait déjà se promener dans les ruelles populaires de la ville, un appareil autour du cou. Pendant ses études de design à l’université des Sciences d’Ingénierie de Shanghai, il a commencé à surfer sur des sites spécialisés de photo, à s’initier aux techniques fondamentales, avant de mettre en pratique ses nouvelles connaissances au cours de stages réalisés dans des journaux locaux. Il confie avoir été surtout influencé par ses aînés chinois, qui travaillent « sur des sujets plus familiers » que ce que peuvent faire les photographes occidentaux. Le Shanghai Morning Post l’a ensuite formé pendant un an avant de l’embaucher en 2003. Le hobby de jeunesse est donc finalement devenu une profession à part entière. Yin Liqin a depuis couvert de nombreux événements d’actualité en Chine et ailleurs pour son journal, tout en poursuivant un travail documentaire personnel sur le quotidien des Shanghaiens. En dehors de la photo, ce jeune trentenaire a un gout prononcé pour les voyages, qui lui permettent d’évacuer la pression de l’actualité. Il avoue aussi une fascination pour le pilotage.