L’urbanisation de la Chine et la dégénérescence de la culture rurale me semblent les changements les plus marquants des dernières décennies. Pendant plusieurs millénaires, la société chinoise a été presque exclusivement rurale et ce jusqu’au début des années 80. L’exemple de Nankin est typique de ce qui s’est passé ensuite : alors que c’était une ville pleine de caractère et très agréable à vivre, elle a été très abîmée par la modernisation. Le problème est en partie lié aux dirigeants locaux de l’époque, dont beaucoup n’avaient pas fait d’études poussées et qui ne pensaient qu’à en faire une ville moderne et internationale, même si c’était au détriment de sa spécificité historique. La grande majorité des villes chinoises ont subi le même sort : elles sont devenues laides et dénuées de personnalité, et de nombreuses traditions locales se sont dissoutes au cours d’un gigantesque processus d’uniformisation. Les villages ont suivi le même type de chamboulements, notamment dans les provinces du Sud-Est du pays, où l’économie s’est énormément développée, et surtout trop vite. La culture chinoise n’avait pas connu de rupture pendant plusieurs millénaires, mais depuis le début des réformes, j’ai le sentiment que ce problème de rupture se pose. C’est au moins le cas dans le domaine de la préservation du patrimoine : même si les sites historiques sont plus facilement protégés qu’avant, sur un chantier de rénovation, on exige que tout aille vite, encore plus vite, toujours plus vite. Comment garantir qualité et authenticité avec une telle précipitation ? Je suis donc pessimiste sur le maintien de notre héritage architectural. Je ne le suis pas forcément dans les autres domaines, même je m’intéresse peu à la politique. Je me sens plus motivé par ma collection de disques de musique classique, qui adoucit le cœur !
Li Yuxiang
Li Yuxiang aime rappeler le fait que Nankin, la ville du Jiangsu où il est né en 1962, a été la capitale de plusieurs dynasties chinoises. Cet amoureux des villes historiques commencé les cours de peinture dès l’âge de 4 ans et a longtemps rêvé de devenir dessinateur. Ayant échoué à l’examen d’entrée des Beaux-Arts de Nankin, à la fin de la révolution culturelle, il se résout à rejoindre le département de la propagande d’un hôpital de la ville. Son background artistique et l’appareil du service le poussent alors à s’intéresser à la photo. A 22 ans, l’une de ses images d’amateur remporte le premier prix d’un concours organisé par un magazine professionnel de Hong Kong. Stimulé par ce premier succès, il s’y met plus sérieusement, potasse des livres techniques et affine sa pratique en faisant des images de Nankin, dont beaucoup se retrouvent dans la presse locale. Décidé à en faire son métier, il intègre en 1987 le département photo de l’université de Wuhan. En 1990, les éditions des Beaux-Arts du Jiangsu lui proposent de travailler sur une collection d’ouvrages illustrés appelée Vieilles Maisons. Il passera la décennie suivante à sillonner le pays pour photographier des bâtisses traditionnelles et coordonner l’editing d’une collection qui connaitra un grand succès en Chine et l’établira comme l’un des spécialistes du patrimoine architectural et culturel local. En 1996, la prestigieuse maison d’édition Sanlian le convainc de s’installer à Pékin pour travailler comme directeur photo sur diverses collections. Il suit parallèlement un cursus de master d’arts visuels aux Beaux-Arts de la capitale. Depuis le tournant du millénaire, Li Yuxiang travaille en indépendant. Il collabore aux plus prestigieux magazines de reportage du monde chinois en tant que photographe, conseiller éditorial ou directeur photo. Il a publié une trentaine de beaux livres, dont plusieurs en France. Son travail a été exposé autour du pays et de la planète. Il est membre de l’association des photographes de Chine.