Le château de Chaumont-sur-Loire accueille une nouvelle édition de son festival de photographie. Cinq artistes exposent jusqu’au 23 février 2025 leur série sur le thème de la nature.
C’est sous un doux soleil d’automne que les artistes sont réunis pour la première fois au château de Chaumont ; trois sont Français, Letizia Le Fur, Laurent Millet et Nicolas Bruant. Les deux autres viennent de loin, du Canada pour Edward Burtynsky et de Berlin pour Jens Liebchen. Ils ont été choisis par Chantal Colleu-Dumond, commissaire de Chaumont-photo-sur-Loire et directrice du domaine. Convaincue que l’art peut avoir un impact sur le monde en créant une prise de conscience, cette amoureuse de l’art réunit chaque année depuis sept ans les travaux de photographes sur le thème de la nature. Exposées dans un environnement exceptionnel, les œuvres occupent les murs multicentenaires de ce château du XIIe siècle.
Célébrer la nature sous toutes ces formes
La couleur est le fil rouge du travail de ces cinq photographes. Qu’elles soient noir et blanc pour les œuvres de Nicolas Bruant ou bleu pour les cyanographies de Laurent Millet, la couleur est un processus esthétique et intellectuel qui enrichit les séries de ces artistes.
La série d’Edward Burtynsky est la plus colorée. Pour réaliser ses « Études africaines », le photographe s’est rendu dans différents pays d’Afrique pour immortaliser des vues aériennes de sites industriels (usines, carrières, mines…). Tirées en grand format, les images marquent au premier regard par leur beauté tout en représentant des espaces à jamais marqués par l’action de l’homme. « I help people to feel the problem », explique solennellement Edward Burtynsky, qui depuis des années documente les chantiers miniers dans le monde.
Jean Liebchen dénonce lui aussi l’emprise de l’humain sur la nature, par sa série « System », découverte par Chantal Colleu-Dumond lors d’une édition de Paris Photo. « J’ai eu un coup de cœur pour cette série », s’enthousiasme la commissaire. Ces arbres japonais enneigés s’inscrivent dans la tradition de la photographie japonaise. Au premier regard, le visiteur croirait être au pied du mont Fuji, abrité par le calme d’une forêt millénaire. Puis, en se rapprochant de l’image, on voit se dessiner, à l’ombre des flocons de neige, une voiture, puis une autre et enfin le spectre d’une route. « J’ai vécu trois ans à Tokyo, raconte Jens Liebchen. Lorsque je me promenais dans les parcs, j’ai pu observer une nature très codifiée. L’influence de l’homme y est omniprésente, et ce, dès la plantation des arbres qui est calculée au centimètre près. » On est loin des pleines désertiques du mont Fuji… À l’image de la société japonaise, cette série d’arbre forme un système empreint de sprezzatura, cette grâce feinte, car en réalité finement travaillée.
Le blanc, cette non-couleur, est également l’une des essences de la série « Décolorisation » de Letizia Le Fur. Celle qui d’ordinaire travaille par petite touche les couleurs de ses photographies a fait le choix de ne conserver que des nuances de gris. Vous pensiez connaître les paysages de Tahïti ? Letizia Le Fur les redessine, loin de l’image paradisiaque que l’on peut avoir de l’île. Mais que représentent ces images décolorées ? Les paysages semblent apocalyptiques et inhumains. Chacun choisira ce qu’il veut y voir. Pour la photographe, « ces nuances représentent ce [qu’elle voulait] dire ». La Polynésie reste un territoire marqué par les essais nucléaires qui ont eu lieu sur l’île, il y a seulement 20 ans. On peut aussi voir dans cette poudre aux nuances de blanc le blanchiment des coraux, une des conséquences de l’acidification des océans.
La diversité des formats de tirage laisse place à pléthore d’interprétations, ce à quoi on reconnaît une grande œuvre d’art.
Nicolas Bruant, lui, se moque de l’anecdotique de ses clichés. Dans sa série « Arbres », on peut retrouver un palmier de l’île Maurice à côté d’un acacia du Kenya. Il sillonne le monde depuis cinquante ans et cette série d’arbres a été construite en travaillant sur ses archives. Ainsi, plusieurs de ses images, d’un noir et blanc très contrasté, sont tirées pour la première fois.
Le photographe insiste sur l’importance de la densité des noirs qui donne ce style si particulier à ces clichés d’arbres.
Un ami de l’artiste s’exclame : « Tu captures des éclats de lumière ! », remarque très juste, car on assiste dans la photographie de Bruant à ce moment merveilleux qu’est la naissance de la lumière. Nul besoin de l’anecdotique puisque l’artiste revient à l’essence de la photographie, à savoir dessiner avec la lumière. Il semble ici immortaliser la naissance de la nature.
Lors d’une résidence en Indonésie, Laurent Millet a photographié des paysages de jungles et les a développés avec la technique de la cyanographie. Ces photographies ne représentent pas une nature sauvage, mais un parc. La vraie aventure est dans la technique utilisée par Laurent Millet. La cyanographie permet d’obtenir des bleus uniques, virant parfois au vert-gris dans certains tirages. L’artiste a choisi de tirer ses photographies sur un papier dominoté doré, papier utilisé pour les papiers peints, très utilisé au XIXe siècle. Installés dans une salle particulièrement lumineuse, les paysages de Laurent Millet côtoient sous une belle lumière d’automne ceux de la vallée de la Loire.
Le lieu féerique de Chaumont-sur-Loire sublime les travaux de ces cinq artistes. Si l’art n’a pas le pouvoir direct de changer le monde, il peut par sa beauté et sa poésie nous inspirer pour le rendre meilleur chaque jour.
Laurine Varnier
Chaumont-photo-sur-Loire – Expositions d’Hiver
16 novembre 2024 – 23 février 2025
Domaine de Chaumont-sur-Loire
41150 Chaumont-sur-Loire
www.domaine-chaumont.fr