Le Château Coquelle à Dunkerque présente jusqu’au 5 avril une exposition de Thierry Girard intitulée : Les lieux de l’affect [ des paysages, des gens, des vies ]. Il nous a envoyé ce texte.
Tout jeune photographe, j’ai réalisé entre février et juin 1982, un travail photographique autour de Dunkerque. Ce fut ma première résidence d’artiste et mon premier livre publié, Far-Westhoek ; le Westhoek étant justement cette pointe Ouest qui fait frontière entre la France, la Belgique et la mer du Nord. De la même manière qu’il y a quelques années, je suis retourné interroger les paysages et les gens du bassin minier du Nord-Pas-de-Calais, 35 ans après mes nombreux séjours des années 80 (cf. Le livre publié en 2019 aux éditions Light Motiv, Le Monde d’après), j’ai eu le désir, plus de 40 ans après, de retrouver ce territoire dunkerquois pour lequel j’ai gardé une affection profonde.
Lorsqu’on photographie un territoire comme celui de la Communauté urbaine de Dunkerque, et plus particulièrement ces villes et ces zones qui s’étendent le long de la mer du Nord, de Grand-Fort-Philippe à Bray-Dunes, on peut certes s’inquiéter des paysages, de ce qu’ils disent de la singularité de ce territoire, de sa forme et de son épaisseur ; on peut s’inquiéter tout autant des gens qu’on y rencontre, qu’ils soient nés ici ou issus d’une longue lignée flamande; qu’ils aient des parents venus d’ailleurs pour différentes raisons ; qu’ils soient eux-mêmes d’ailleurs, ayant décidé soit de s’inscrire dans la durée sur ce territoire, soit de n’être que de passage, comme ces migrants rencontrés dans un refuge, au seuil d’un autre exil.
Et puis, on peut se poser la question de savoir quels liens peuvent unir ces gens à ce territoire à travers quelques paysages qui racontent l’histoire intime de chacun ; des liens qui peuvent être profonds, anciens, hérités de l’enfance, d’autres qui sont plus liés au travail ou aux actions que chacun a pu mener, et parfois des liens très fugaces comme la dernière image d’une plage avant l’embarquement vers d’autres horizons.
Pour cela, j’ai dû écouter et enregistrer l’histoire de chacun, ce qu’il ou elle voulait bien me raconter en espérant qu’au fil de la conversation naisse un désir de paysage à partager, voire à reconnaître ensemble. C’est ainsi que je suis allé à la pêche à la crevette, ceint de la mer du Nord jusqu’à la taille ; écouter vibrer le son grave et étrange du tablier en fonte d’une écluse du port de Dunkerque lorsqu’un véhicule roule dessus ; errer par les rues et les places aujourd’hui dépeuplées de la cité des cheminots de Saint-Pol, en essayant d’imaginer les bandes d’enfants, les cris et les rires d’autrefois ; photographié les ruines d’un ancien centre de loisirs emporté par un incendie un soir de Noël ; jouir du ressac de la mer et du vent dans les dunes, loin du bruit et de la fureur d’une guerre dont il ne reste que des vestiges de béton ou de rouille, mais aussi relever dans ces mêmes dunes les traces de celles et ceux qui sont encore en partance vers d’autres ailleurs …
Toutes ces histoires mises bout à bout, tous ces portraits différents mais participant d’une même humanité, tous ces paysages qui disent à la fois la beauté et la rudesse de ce territoire, tout cela réuni raconte d’une manière juste ce très “haut de France“ et m’émeut tout autant que le souvenir que j’en avais gardé, il y a plus de quarante ans. Puisse ce sentiment être partagé.
Thierry Girard
Cette exposition fait suite à une résidence de création de Thierry Girard au Château Coquelle (février 2023 – mai 2024).
Thierry Girard : Les lieux de l’affect [ des paysages, des gens, des vies ]
du 24 janvier au 5 avril 2025
Château Coquelle
Rue de Belfort
59240 Dunkerque, France
https://www.lechateaucoquelle.fr/
site web : http://www.thierrygirard.com
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