La photographie est fragile « comme les ailes d’un papillon ». Cette remarque d’Arago s’avère encore très pertinente dans les années 1850, lorsque l’on constate que les épreuves photographiques sur papier sont altérables. Dès lors, il importe aux artistes et aux scientifiques de pallier ce grave inconvénient pour assurer à leurs travaux une « conservation indéfinie ». Charles Nègre sait que le public ne reviendra aux publications photographiques qu’à la condition de juguler « le germe de destruction » et, pour cela, de transposer l’image photographique formée par les sels d’argent, instable, en une image formée par l’encre d’imprimerie, stable.
Charles Nègre commence ses premiers essais de gravure héliographique dès le début de l’année 1854. L’artiste se transforme alors en chercheur de laboratoire. Ses carnets de notes sont remplis de formules de physique et de chimie. Il suivra même en 1857 les cours de physique donnés par Edmond Becquerel au Conservatoire National des Arts et Métiers.
Alors qu’il utilise encore le procédé de Niépce de Saint-Victor (neveu de Nicéphore Niépce), Nègre est suffisamment avancé pour remettre au critique Ernest Lacan la gravure héliographique du « Maçon accroupi » que ce dernier publie au début de son article dans «La Lumière» le 21 octobre 1854. C’est ainsi qu’entre dans l’histoire de l’édition la première photographie d’art d’un être humain, parue dans la presse.
Mais, insatisfait de cette méthode, Nègre la perfectionne par une électrolyse qui fixe de l’or sur la plaque à graver. Cette innovation permet de reproduire fidèlement toute la gamme des gris d’une photographie.
Pour la première fois de sa carrière, Charles Nègre reçoit une commande officielle du gouvernement pour participer à une monographie de la cathédrale de Chartres.
Fin 1855, il a finalisé une quinzaine de photographies prêtes à être héliogravées. Les gravures étant réalisées par contact, c’est-à-dire au même format que les négatifs (jusqu’à 70 x 80 cm), on peine à imaginer l’encombrement et le poids de l’appareillage photographique transporté par Charles Nègre.
Sur les 15 planches héliogravées qu’il a réalisées, seulement 5 seront achetées par le Gouvernement. Malgré la déconvenue, elles vont susciter un enthousiasme général auprès de la critique et du public et valent à Charles Nègre une grande renommée internationale. Elles constituent certainement un sommet de la production héliographique de cette époque.
En 1856, la Société Française de Photographie ouvre un concours pour « stimuler la recherche d’une solution au problème de la permanence des images reproduites ». À cet effet, le Grand Prix est doté de 8 000 francs par le mécène Honoré d’Albert, duc de Luynes. Parmi les nombreux participants et après plus de dix ans d’hésitations, la récompense reviendra à Alphonse Poitevin et non pas à Charles Nègre dont le procédé, bien que supérieur en qualité, apparut d’un emploi plus artisanal qu’industriel.
D’ailleurs, le duc de Luynes ne s’y trompera pas en demandant plutôt au second, Charles Nègre, de réaliser les photogravures de son énorme ouvrage « Voyage d’exploration à la Mer Morte, à Palmyre, à Pétra et sur la rive gauche du Jourdain ».
C’est ainsi que le premier livre comportant des photographies imprimées vit le jour.
Alain Sabatier