Quel siècle fût le sien dans l’évolution de la civilisation occidentale ? Le siècle européen des Lumières s’est éteint dans une cacophonie politique et structurelle générale dont la France est le symbole (royauté de droit divin, révolution, consulat, empire, restauration et encore empire). Pour beaucoup les lumières s’éteindront définitivement en 1815, avec la fin du premier Empire. Le libertinage philosophique, intellectuel, ésotérique, sociologique, naturaliste prend fin avec l’installation de la rigueur et de l’organisation à tous les niveaux de la pensée occidentale. C’est le moment de la naissance de Louis Pasteur, d’Alexis de Tocqueville, de Prosper Mérimée, d’Evariste Galois, de Claude Bernard, d’Edmond Becquerel, de Marcelin Berthelot, de Louis Bréguet et de bien d’autres inventeurs de cette ère dite industrielle qui se terminera dans les « trente glorieuses » de la fin du vingtième siècle. Notre Charles Nègre fait partie de cette génération, il est de leur classe d’âge, il a suivi cette formation universelle ouverte sur la curiosité. La déduction et la compréhension par l’esprit, des divers systèmes environnementaux, s’imposent. Cette forme d’apprentissage qui verra son apothéose dans les deux premiers tiers des années 1900 avec l’école dite de «Jules Ferry».
Il est important de s’imprégner de ce contexte pour comprendre le parcours et les œuvres laissées à la postérité par Charles Nègre. Dans cette période où la logique et l’association d’idées prédominent, les plans de carrière s’adaptent aux réalités du quotidien et aux ouvertures industrielles potentielles.
Notre Charles semble posséder un joli coup de crayon et une certaine sensibilité, il sera donc envoyé aux Beaux Arts de Paris, et puis de toute façon l’éventail des connaissances acquises ne sera pas perdu ; même s’il devait revenir dans la confiserie familiale qui se transformait, elle aussi, en industrie. Ce ne sera pas le cas, le jeune prodige sort de l’Ecole avec un savoir faire artistique d’un excellent niveau acquit au sein d’ateliers réputés. En sus, il entretenait une grande curiosité pour cette nouvelle technologie qui évolue à grand pas et dans toutes les directions, à partir de 1840 : l’héliographie.
Non seulement Charles Nègre s’avérera être un photographe remarquable très en avance pour son époque et grand précurseur ; mais, il sera aussi le visionnaire qui assimilera très vite, dans l’esprit de son siècle et de ses inventeurs, l’importance d’assurer une qualité au travail réalisé et une durabilité pour le futur. La soif du savoir, l’impatience à trouver des solutions priment. Notre artiste, à la touche de pinceau très sure et à la réalisation de photographies avant-gardistes, retournera prendre des cours au Conservatoire National des Arts et Métiers pour faire aboutir ses recherches. Il s’acharnera sur la maîtrise des techniques de gravure pour l’héliographie d’impressions dont il arrivera à définir et réaliser les fondements opérationnels.
La photographie moderne doit énormément à ce touche à tout génial qui fut l’ami de Ingres et des grands artistes de son époque, tout comme il fût celui de Becquerel dont il suivait les recherches en physique et les cours.
Charles Nègre est un des hommes orchestre de la culture universelle moderne et le précurseur de notre Photographie actuelle sous ses divers aspects et ses nombreux usages.
Thierry Maindrault