Le nom de cet homme perdure dans le temps et en principe pour quelques siècles à travers ses œuvres qui portent sa génération au delà de sa mort. Charles Nègre, un homme discret, mais déjà incontournable durant sa vie, a laissé de nombreuses œuvres dont nombre de photographies qui sont venues jusqu’à nous. Une sauvegarde dues aux qualités intrinsèques des documents et au respect de sa famille qui n’a pas organisé un de ces feux purificateurs avec tous ces papiers et ces pellicules qui envahissaient cave ou grenier. Le désastre des évacuations d’archives ayant déjà détruit beaucoup trop de trésors patrimoniaux sur cette planète.
Les photographies de Charles Nègre sont tout à fait exceptionnelles à plus d’un titre. L’auteur très perfectionniste s’est attaché à des réalisations qualitatives parfaites pour l’époque. Le créateur a su donner à toutes ses images le juste équilibre de compositions significatives, parfois avec des messages au deuxième ou troisième degré comme tous les bons artistes. Le curieux nous a laissé des clichés de tous les aspects de la prise de vue allant du portrait à l’urbanisme, du reportage à l’événementiel, de l’industrie au paysage, de l’officiel au bucolique. Imaginons bien devant toutes ces photographies prisent dans des conditions techniques incroyables. L’instantané n’existait pas, la pose était de rigueur, le chronomètre toujours à portée de main. Le matériel de prise de vue était lourd et encombrant pour réaliser des films qui mesurent parfois 60 cm par 80 cm. Les personnages devaient s’immobiliser parfois dans l’action pour de longues pauses. La lumière essentiellement naturelle exigeait une maîtrise des densités lumineuses et de leurs aléas. Pour une même photographie aujourd’hui, les conditions seraient du style d’un sprint pour Charles avec un boulet au pied alors que pour nous nos chaussures actuelles sont une partie intégrante de notre vitesse.
Et pourtant, passons quelques instants devant ses images où rien ne manque, dans chaque photographie la composition raconte l’histoire et son rythme, attise notre émotion. L’équilibre des lumières accentue l’ambiance, accélère ou freine notre lecture, nous entraîne dans l’imaginaire derrière des ombres profondes non fermées ou nous interroge dans des lumières aux détails non brûlés. Les décors ne sont jamais innocents, ils participent de l’histoire, du drap tendu à la tenture négligemment plissée, de l’arrière-plan montagneux au coin de rue parisien, rien n’est laissé au hasard. Enfin, j’insiste pour vous entraîner à l’intérieur de ses cadrages qui sont parfaitement adaptés et intimement liés pour chacune de ses photographies. Cette caractéristique remarquable, est obligatoire et incontournable dans l’art pictural ; mais, infiniment plus compliquée avec la photographie de l’époque qui exigeait l’obligation du cadrage dès la prise vue.
Ce numéro exceptionnel de l’Œil de la Photographie vous offre la possibilité de passer du temps devant de purs chefs d’œuvre de l’Art photographique réalisés par un des plus grands créateurs (sa modestie posthume dût-elle en souffrir) – dit primitif -. Profitez en bien ! Certaines de ces œuvres sont légitimement présentes dans les collections de grands musées, comme le Musée d’Orsay Orangerie qui devrait nous proposer une très belle exposition dans quelques mois.
Les photographies de Charles Nègre sont à vivre sans modération et elles restent bien plus instructives pour la Photographie qu’une douzaine de « masterclass » ou autres « workshops ».
Thierry Maindrault