Charles Nègre quitte Paris pour la Provence et un périple de près de six mois. Nous sommes à l’été 1852, il a 32 ans et une foi inébranlable dans son travail. Il en faut pour se lancer, à compte d’auteur, dans le projet un peu fou d’un inventaire photographique du «Midi de la France». Ce sera le titre de l’album qu’il ambitionne de faire publier à son retour. Car, avant même de partir, son esprit novateur envisage l’édition de photographies en planches qui raconteront les trésors de sa région natale.
Certes il n’est pas le premier. En 1850 Maxime Du Camp, accompagné de Gustave Flaubert, effectue un voyage en Égypte dont l’album aura un certain succès. Blanquart-Evrard, en 1851, crée à Loos près de Lille une imprimerie photographique qui facilite la multiplication des tirages pour constituer des albums commerciaux.
Mais Charles Nègre s’inscrit très tôt dans ce mouvement en faveur d’une large diffusion des photographies, le contre-pied de la peinture qui sacralise l’œuvre unique. Pour l’époque c’est une révolution des mentalités, et permettre à un plus grand nombre de personnes à accéder à l’art – en tout cas à la documentation en images – procède d’un esprit moderne que peu partagent.
Charles Nègre raconte : «… Ce n’est pas seulement la nature pittoresque et variée des sites, l’éclat du soleil, la pureté de l’atmosphère que j’ai voulu reproduire dans mes vues Photographiées ; à côté de ces beautés dont le créateur a doté nos contrées méridionales et qui tiennent à des causes toutes physiques j’ai recherché des beautés d’un autre ordre qui doivent nous intéresser aussi parce qu’elles se rapportent à l’étude de l’art et de l’histoire….. J’ai exploré Avignon, Arles, Saint-Gilles, les Beaux, Tarascon, Beaucaire, Aix, Fréjus, Marseille, Toulon, etc.» dans son Manuscrit pour un projet d’introduction à l’album Midi de la France, cité par James Borcoman, «Charles Nègre 1820-1880» [Galerie Nationale du Canada, Ottawa en 1976].
On peut ajouter dans ce périple la partie Est de la Provence, avec Grasse bien sûr, où il retrouve sa famille, et les alentours, Saint-Cézaire, Cannes, Antibes…
Le 10 juin 1854 la revue «La Lumière», organe de presse de la Société héliographique, annonce la parution chez Goupil & Vibert des premières planches issues du voyage de Charles Nègre. Mais l’édition complète de l’album est un échec commercial malgré la grande richesse des photographies réalisées. Deux séries de cinq épreuves seront tirées par l’imprimerie photographique H. de Fonteny, alors que l’ensemble devait en comporter douze.
Les clients potentiels, riches bourgeois du Second Empire, hésitent à dépenser des sommes d’argent assez importantes pour des albums dans lesquels les images, composées de sels d’argent, s’effacent à la lumière dans un laps de temps assez court.
De fait, Charles Nègre a tout compris et transforme cette impuissance en force qui va le pousser à travailler durement, dès 1854, pour mettre au point la gravure héliographique, un procédé d’impression qui va pérenniser les photographies. Mais ceci est le début d’une autre histoire…
Michel Cresp