Avec sa série « Cimarron », le photographe continue d’explorer costumes et masques traditionnels à travers le monde. Prises en Amérique, ses photographies sont à voir au château des ducs de Bretagne à Nantes et dans un ouvrage publié par les éditions Actes Sud.
Ce sont des costumes aux formes étonnantes et aux couleurs chatoyantes, de drôles de masques taillés sur mesure, avec toute sorte de matériaux, de la corne de taureau à la peau de crocodile… Les tenues que portent les personnes photographiées par Charles Fréger fascinent par l’inventivité dont font preuve leurs auteurs et nous jettent immédiatement dans un carnaval coloré où se jouent les partitions de peuples opprimés. Car c’est la grande force de cette série intitulée à juste titre « Cimarron » : la sublimation d’une douleur qu’ont subi Afro-Américains, victimes de la traite négrière, et Amérindiens, victimes de la colonisation de leurs terres. Nombreux cherchent, à travers les lois de la mascarade, du divertissement, une façon de venger le passé et de le réinventer. « Cimarron » est un terme qui désigne l’esclave qui s’est enfui et résiste contre ses oppresseurs. Il est ici un titre approprié à cette série qui laisse la voix des âmes offensées s’exprimer.
Vaudous
« Chaque personnage porte sur lui un héritage, une multitude de couches qui vient du passé et nous ramène à la vision d’une communauté » explique le photographe. Histoire complexe dont les personnes qui se griment ainsi s’emparent pour en chanter les louanges ou en dénoncer les travers. Ainsi de cette figure controversée du Yankunu qui renvoie à celle du marchand et guerrier John Conny qui, après avoir fait du commerce dans la traite des esclaves, s’est rebellé contre les puissances européennes. Le costume d’aujourd’hui le représente couvert de tissus, comme s’il était encore en train de vendre des matières premières dans ce commerce où on échangeait des êtres humains, mais demeure, dans l’esprit de certaines communautés, un héros libérateur. Souvent, les personnages ont un fouet à la main, rappelant le rôle des contremaîtres qui faisaient subir brimades et violences aux esclaves. Parfois, c’est un masque qui évoque ce passé douloureux ou bien le conjure en faisant rire ou peur par ses atours guignolesques. L’importance des cultes aussi, que ce soit les vaudous ou d’autres religions, compose cette palette incroyable de personnages. « La force de toutes ces mascarades c’est de contourner la condition d’esclave tout en lui rendant hommage » affirme le photographe. Un hommage qui a particulièrement du sens à Nantes, ville qui a vécu jadis de la traite des esclaves et qui prouve aujourd’hui qu’un travail de deuil fécond a été réalisé.
Jean-Baptiste Gauvin
Charles Fréger
« Cimarron »
Du 02 février au 14 avril 2019
Château des ducs de Bretagne
4 Place Marc Elder
44000 Nantes