Chronique Mensuelle de Thierry Maindrault
Comment une rue pavée de bonnes intentions devient un hall de déshérence, de nivellement par le bas et une source de revenus injustifiés.
Comme toujours pour l’origine des choses, le mécénat se constitue sur le principe de permettre à une qualité humaine particulière (physique ou intellectuelle) de se développer, de se conforter, de s’exprimer. Cette assistance (matérielle ou psychologique) devait permettre, devait rassurer les auteurs pour offrir l’accès des résultats obtenus au plus grand nombre. C’est cet apport désintéressé qui contribue à l’émergence des exploits et autres créations comme des marqueurs de l’évolution de nos diverses sociétés humaines. A travers l’Histoire, ce sont ces relations aussi souvent sereines que tumultueuses qui ont permis la naissance ou la sauvegarde d’œuvres ou de performances inoubliables.
Qu’en est-il de ces liaisons particulières qui s’exposent, devant un public actif, dans notre sphère des images obtenues par la photographie ?
D’un côté, le vrai créateur photographe qui, à travers des outils communs – utilisables par tous -, de cette technique particulière de formation d’images pérennes, conçoit, réalise, obtient des œuvres qui s’expriment, par elles-mêmes, au-delà de la représentation imagée. Cette femme ou cet homme compétent qui se retrouve un peu prophète, un peu précurseur.
De l’autre côté, un leader de la société, par son poids économique, politique ou spirituel, rêve de laisser une trace de son passage sur notre planète. Ce personnage est conscient de son incapacité personnelle, malgré ses autres grands talents souvent réels, à abandonner derrière lui une de ces balises qui participent à l’évolution d’une civilisation. Le mécène prend le parti de soutenir, les créations de telles ou tels photographes en mettant à leur disposition les outils et les moyens nécessaires à la réalisation des innovations et à leurs diffusions vers le plus grand nombre.
Dans le principe, ces fiançailles séculaires étaient à l’origine d’œuvres exceptionnelles qui sont devenues, après le délai probatoire (celui qui constate les décès de celui qui prend alors le titre artiste ainsi que celui de son Pygmalion), d’authentiques œuvres d’Art.
Malheureusement, cette voie naturelle et profitable à tous s’est fourvoyée, lors de son évolution, dans la construction artificielle d’autoroutes de la culture. Les niveleuses étatiques, les rouleaux compresseurs de la finance, les saigneuses d’écoles bidons, tout un microcosme pour un art aussi bien pensant que rémunérateur. Ces petits aréopages autoproclamés décident désormais pour le public de ce qui sera bon pour sa santé intellectuelle, parfaitement formatée. C’est plaisant de constater que pour justifier de leur présence indispensable, tous ces génies du «business» artistique sont capables, en un temps record, de renier leur choix de l’année dernière pour aduler des images qu’ils réfuteront l’année prochaine. Nous sommes entrés dans une époque merveilleuse.
La stupidité des uns et des autres, atteint des sommets avec, depuis trois/quatre ans, l’inversion des rôles. N’avez-vous pas remarqué ? Mais si, c’est authentique ! Ce sont les créateurs (enfin soyons francs de pseudo créateurs en mal de reconnaissance personnelle) qui paient les mécènes (enfin soyons clairs des prétendants mécènes). Les galeristes fantoches, les organisateurs de mascarades, les éditeurs voyous, gagnent plus d’argent qu’ils n’en dépensent. Le paiement d’une redevance pour être exposé, le paiement d’une inscription pour participer à une sélection décidée par un jury sous contrôle, le paiement des frais d’édition pour la réalisation d’un livre sont devenus monnaie courante. Le paiement à toutes les sauces est de mise pour permettre aux généreux mécènes de supporter des œuvres que tout le monde aura oublié six mois plus tard.
N’oublions pas quand même, le grand mécénat qui s’appuie sur des moyens hors du commun, je veux évoquer les soutiens étatiques et celui des gigantesques multinationales. Les points communs de ces deux soi-disant supports de la création et de sa sauvegarde sont clairement affichés. D’une part, l’essentiel reste les plans de carrière des individus délégués pour faire les choix convenables pour leur structure bienfaitrice. Il est à noter au passage que ces salariés, d’une compétence parfois très discrète, passent volontiers d’un camp dans l’autre ; lorsqu’ils ne trouvent pas plus fiable d’avoir un pied dans chaque camp. D’autre part, il est incontestablement bienvenu d’avoir une balance financière bien équilibrée pour justifier d’une réussite de bon aloi. Leurs rémunérations et celles de leurs amis – toutes aussi exorbitantes – étant incluses. L’éventail des ressources reste illimité, de la subvention publique jusqu’au droit d’entrée, en passant par la récupération d’œuvres, rien n’est laissé au hasard. Toutes ces sollicitations financières qui progressivement interdisent l’accès aux œuvres présentées pour le plus grand nombre. Je vous accorde que certaines images sont tellement mauvaises que c’est plutôt un soulagement de les rendre inaccessibles à ceux qui n’ont pas les moyens. Evitons le gaspillage pour les fins de mois difficiles et laissons à nos élites le privilège d’accéder à la médiocrité.
Nous sommes arrivés à un monde assez peu reluisant qui détourne tout au nom de l’ego communicant et des dieux virtuels de l’argent. Toutefois, nous nous devons de rester honnêtes. Ils restent des mécènes sincères qui ne mettent pas automatiquement leur nom sur leur fondation et qui ne transforment pas une exposition en galerie commerciale de leur activité personnelle. Les mêmes s’impliquent personnellement dans le fonctionnement de leur générosité et se plaisent à mettre en avant les œuvres qu’ils soutiennent en se faisant discrets et en assistant les auteurs, sans arrière-pensées et sans en faire des bêtes de média, lorsque ce n’est pas plus.
Alors, Mesdames, Messieurs, organisations ou individuels, les mécènes, vous devez savoir que vos protégés sont davantage soucieux de vos soutiens pour leur permettre un travail abouti et serein sur leurs créations afin de rendre ces dernières pérennes et accessibles à tous. Les photographes et leurs images n’ont pas pour destin de devenir les « hommes-sandwichs » d’un banquier, d’un constructeur automobile, d’un champagne, ni même d’un vendeur de cosmétiques. Le summum revient au fabricant d’appareils photographiques qui est incapable de reconnaitre une image promptographique imparfaite dans un prestigieux concours dédié à la Photographie.
Thierry Maindrault, 12 mai 2023
vos commentaires sur cette chronique et sa photographie sont toujours les bienvenus à