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Centre Pompidou-Metz : Voir / Le Temps / En Couleurs – Les Défis de la Photographie

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Du 13 juillet au 18 novembre 2024, la photographie s’invite sous toutes ses formes au Centre Pompidou-Metz à travers l’exposition Voir / Le temps / En couleurs. Sous le commissariat de Sam Stourdzé, l’un des plus grands spécialistes de la photographie. Aujourd’hui à la tête de la Villa Médicis à Rome, il a notamment dirigé les Rencontres d’Arles de 2014 à 2020 et le musée de l’Élysée à Lausanne de 2010 à 2014. L’exposition réunit près de 250 œuvres et 50 photographes, offrant une traversée inédite des grands défis techniques qui ont jalonné l’histoire de la photographie, une discipline jusqu’ici peu explorée au Centre Pompidou-Metz. Le parcours donnera à découvrir des œuvres exceptionnelles : des planches rares de campagnes de restauration de chefs-d’œuvre de la Renaissance italienne, des marines peu présentées de Gustave Le Gray, ou encore des plaques autochromes de la collection Albert Kahn.

Dispositifs optiques et mécaniques, procédés chimiques, propriétés physiques innovantes… Longtemps, la technique a été rangée du côté des sciences objectives. Pourtant, bien plus qu’un simple moyen de production photographique, ses évolutions précèdent, sinon provoquent, toutes ses grandes révolutions esthétiques.

En trois temps, le parcours propose de revenir sur les enjeux de l’image reproduite, aux origines de la photographie, sur l’avènement de l’instantané, qui autorise la discipline à se dire « moderne », et sur son rapport à la couleur, point de bascule vers une démocratisation inédite de la pratique. Au sein de chacune de ces trois sections, le travail photographique d’une figure emblématique est tout particulièrement mis à l’honneur. L’exposition fait jaillir une multitude d’artistes ayant exploré les facettes méconnues de la photographie, à travers Constantin Brancusi, qui a détourné la fonction reproductible de l’image pour produire des centaines d’interprétations photographiques de ses sculptures, Harold Edgerton, qui parvient, dans les années 1950, à figer le temps en image – jusqu’à provoquer leur décomposition – et Saul Leiter ou Helen Levitt, pionniers de la photographie couleur qui par leurs jeux d’aplats transforment la réalité en une forme poétique.

Véritable chassé-croisé temporel, l’exposition marie les travaux pionniers de photographes des XIXe et XXe siècles avec ceux d’artistes contemporains, comme Hans Peter Feldmann, qui revisite avec son installation Shadow Play la camera obscura comme forme inaugurale de l’image reproduite, ou encore Dove Allouche, Ann Veronica Janssens, Laure Tiberghien et Hugo Deverchère, dont les œuvres soulignent les nombreux chemins qu’ouvrent, aujourd’hui encore, les manipulations techniques du médium.

Reproduire à l’infini 

L’essai historique rédigé par Walter Benjamin en 1935, L’œuvre d’art à l’époque de la reproductibilité technique, jette les bases du grand défi auquel l’émergence de la photographie a confronté tous les arts au XIXe siècle : la désacralisation de l’œuvre par sa possible reproductibilité, immédiate et infinie. Si la notion de reproduction est au cœur même du processus photographique, les artistes ont continuellement tenté d’en réinventer les enjeux, qu’ils soient formels ou conceptuels. Pour Constantin Brancusi, première grande figure de l’exposition, photographier ses propres œuvres ne relève pas du souci documentaire mais constitue bien une incarnation de sa pensée sur ses sculptures. Les multiples vues qu’il réalise de ses œuvres dans l’atelier révèlent son ambition de la mise en scène, ne laissant au hasard aucun détail, de la position du socle à l’éclairage, en passant par les fonds de couleur pour maîtriser la lumière.

Dès ses débuts, la photographie a été utilisée comme un moyen d’objectiver le réel. En rendant accessible ce qui échappait jusqu’alors au domaine de l’observation, elle s’est révélée être un outil primordial pour documenter, diffuser et encourager les grandes conquêtes de l’histoire occidentale moderne. Grâce aux frères Bisson, qui réalisent près d’une centaine de vues panoramiques de chaînes montagneuses entre 1858 et 1862, la montagne et ses sommets, jusqu’alors hostiles ou simplement inconnus, sont désormais à portée d’image.

En parallèle, les vues astronomiques se multiplient, sous l’impulsion notable des frères Henry, qui produisent en 1884 la première carte du ciel, et photographient un grand nombre de planètes, d’étoiles et de phénomènes astronomiques, largement diffusés auprès de la communauté scientifique et du grand public. Dans cette « optique », les photographies iconiques des conquêtes spatiales des années 1960 de la Nasa, rarement présentées en France, rappellent combien la photographie structure nos imaginaires autant qu’elle sert un dessein politique. Autre conquête, le royaume de l’infiniment petit voit la photographie supplanter le microscope. Peu à peu, elle quitte le domaine des sciences et accède au rang d’expérimentation visuelle, consacrée notamment par la photographe Laure Albin Guillot qui la renomme sans équivoque, en 1931, « micrographie décorative ».

Encapsuler le temps

La transformation la plus radicale qu’ait connu la photographie a été la maîtrise de l’instantané, atteinte dès 1841 avec le premier procédé négatif/ positif de l’histoire. C’est grâce aux temps de pose considérablement réduits que Gustave Le Gray réalise à partir de 1856 ses célèbres Marines, paysages photographiques d’océans saisis sur le vif, dont l’esthétique pittoresque reprend les codes de la peinture de paysage. Avec l’arrivée de l’instantané, c’est tout le rapport à l’outil qui est chamboulé : la photographie n’est plus simplement un moyen pour parvenir à une image pensée en amont, mais une fin en soi, avec la vertigineuse infinité de possibles que cela engage. Il lui reste encore un défi à surpasser : s’il veut restituer un ciel dense et nuageux, alors la mer apparaît sous-exposée et donc trop sombre ; en cas inverse, c’est le ciel, surexposé, qui disparaît. Qu’à cela ne tienne, Gustave Le Gray réalise les premières images manipulées, premier photo-montages de l’histoire, en associant un négatif pour la mer et un autre pour le ciel. Il obtient ainsi une densité parfaite, de la mer au ciel.

L’exactitude et la précision de ces nouveaux procédés ouvrent la voie à diverses expérimentations, dans le contexte de la modernité technique de la fin du XIXe siècle, exalté par la vitesse. Les travaux pionniers des physiciens Eadweard Muybridge et Étienne-Jules Marey bouleversent, aux États- Unis et en France, la compréhension de la physiologie humaine et animale.

Avec le chronophotographe, inventé par Étienne-Jules Marey en 1882, il est possible d’enregistrer une série d’images successives, prises jusqu’au millième de seconde, sur une seule surface, révélant ainsi la trajectoire imperceptible des corps en mouvement. La révolution dépasse largement le cadre de la photographie, servant aussi bien les arts visuels – elle précède de près de 30 ans les recherches des futuristes, et ouvre la voie au proto-cinéma, la médecine, les sciences physiques et naturelles.

De concert, artistes et scientifiques œuvrent à repousser les limites du visible. Le professeur d’ingénierie électrique au Massachusetts Institute of Technology (MIT), Harold Edgerton, pousse, avec son flash stroboscopique, l’instantané photographique dans ses ultimes retranchements. La goutte de lait qu’il parvient à capter dans sa chute, à la seconde précise où elle rencontre une surface plane, incarne à elle seule une volonté d’exposer le passage du temps. Obsédé par cette recherche, il y consacra deux décennies, entre la première couronne formée par l’éclaboussure qu’il réalise en 1936, jusqu’à la version en couleurs vives en 1957, qui frappe par son immense clarté visuelle. Voici enfin l’une des grandes conquêtes de la photographie accomplie : encapsuler le temps.

Fixer la couleur

Ultime défi justement, fixer la couleur. Elle est d’abord l’apanage des scientifiques, depuis les expérimentations pionnières de Louis Ducos du Hauron, qui réalise en 1877 la première photographie couleur de l’histoire, jusqu’aux plaques autochromes, qui connaissent au premier quart du XXe siècle un succès fulgurant, en témoigne l’utopie humaniste du banquier Albert Kahn qui voulait constituer les archives de la planète. Avec Yevonde Middleton, pionnière dans la photographie couleur en Angleterre, elle acquiert, dans les années 1930, des qualités esthétiques burlesques, excentriques et, pour l’une des premières fois, féministes. Saul Leiter, l’un des plus grands photographes coloristes, l’impose comme style photographique à part entière. Il déclare :

« La peinture est glorieuse. J’aime la photographie, mais je ne suis pas certain que la photographie puisse faire ce que la peinture peut. » Et pourtant, il rendit en couleurs ce que peu avaient réussi à transmettre avant lui. En jouant avec de grands aplats et des palettes souvent monochromes, Saul Leiter travaille la couleur, annonçant Helen Levitt, William Eggleston, Joel Meyerowitz ou Stephen Shore, même si, paradoxalement, il fut célébré après eux.

Voir / Le temps / En couleurs, trois moments où les avancées technologiques ont permis de retenir sur papier les grandes conquêtes de la photographie : reproduire une image, retenir le temps et fixer la couleur… comme des utopies chaque fois conquises. La photographie nous rappelle son importance dans la découverte du monde, elle donne à voir, affirme sa subjectivité politique et sociétale. Elle est appréhendée comme une évidence, oubliant parfois que saisir l’image du monde est aussi un défi technique, et surtout, une source d’inspiration infinie pour les artistes.

 

Les Artistes
Berenice Abbott, Laure Albin Guillot, Dove Allouche, James Anderson, les Frères Bisson, Constantin Brancusi, Braun Clément & Cie Léon Busy, Paul Castelnau, Georges Chevalier, Fernand Cuville, Georges Demenÿ, Egdar Degas, Henri Deslandres, Hugo Deverchère, Louis Ducos Du Hauron, Harold Edgerton, William Eggleston, Fratelli Allinari, Hans Peter Feldman, Achille Ferrario, Frédéric Gadmer, Fernand Valentin Gossart, Goupil & Cie, Philippe Halsman, Frères Henry, Ann Veronica Janssens, Gustave Le Gray, Saul Leiter, Auguste Léon, Helen Levitt, Albert Londe, Étienne-Jules Marey, Joël Meyerowitz, Yevonde Middleton, Abelardo Morell, Eadweard Muybridge, Jean Painlevé, Stéphane Passet, Auguste Ponsot, Gerhard Richter, Wilhelm Röntgen, Thomas Ruff, Camille Sauvageot, Stephen Shore, Edward Steichen, Hiroshi Sugimoto, Laure Tiberghien

 

Commissariat : Sam Stourdzé

Voir / Le Temps / En Couleurs
Les Défis de la Photographie
Du 13 juillet au 18 novembre 2024
Centre Pompidou-Metz
1 Parvis des Droits de l’Homme
57020 Metz, France
www.centrepompidou-metz.fr

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