C’est une grande première en France et en Europe : une monographie d’envergure dédiée à la photographe américaine Barbara Crane est présentée par le Centre Pompidou.
Décédée en 2019, cette artiste originaire de Chicago est une personnalité phare aux États-Unis, et son travail fait partie des collections les plus prestigieuses. En Europe, cependant, son nom reste encore peu connu, et cette exposition est une occasion unique de découvrir son œuvre, aussi foisonnante que variée. À travers cette rétrospective, constituée de plus de 200 photographies, dont une partie est entrée récemment dans les collections du musée, le Centre Pompidou nous invite à plonger dans l’univers d’une femme qui a su pousser les limites de son médium et dont le travail ne cesse de surprendre et d’inspirer.
L’exposition, orchestrée par la commissaire Julie Jones, se concentre sur les 25 premières années de la carrière de Crane, de 1960 à 1985, période marquée par l’utilisation de la photographie argentique et un ancrage géographique et artistique fort à Chicago. C’est notamment par sa sensibilisation aux théories avant-gardistes de la photographie européenne et à son apprentissage aux côtés d’Aaron Siskind à l’Institute of Design que Barbara Crane a véritablement forgé son identité artistique et jeté les bases de son parcours expérimental.
Barbara Crane a produit une œuvre immense. Julie Jones évoque des archives monumentales qui témoignent de l’ampleur du travail de l’artiste. « J’ai besoin de travailler pour être heureuse, et j’ai toujours passionnément aimé faire des images », disait Crane. Ses images sont d’ailleurs impossibles à réduire à un seul style. Tout au long de sa carrière, elle a exploré une variété impressionnante de techniques et d’approches : noir et blanc, couleur, collage, surimpression, Polaroid… Toujours en série. Chaque cliché s’inscrit dans une suite, une séquence narrative où chaque image prend sens dans son ensemble.
À travers Private Views, elle s’aventure dans l’instantanéité, explorant la couleur et la photographie nocturne, tout en perfectionnant son approche des visages et des corps qu’elle immortalise à la tombée de la nuit. Human Forms est un exemple frappant de sa recherche dans l’abstraction. Elle y photographie ses enfants sans jamais dévoiler leurs visages, s’attardant sur les contours de leurs corps, réduits à de pures lignes, brouillant ainsi les frontières entre photographie et peinture. Cette recherche d’abstraction se retrouve aussi dans la chambre noire, où Crane exploite avec une certaine ironie les jeux optiques, comme c’est le cas pour sa série Baxter Labs. En combinant des négatifs dans l’agrandisseur, elle crée des formes graphiques abstraites, en répétant et réorganisant des motifs qui se développent autour d’un élément central mis en avant.
Cette tension caractéristique entre expérimentation formelle et ambition documentaire infuse toute son œuvre et témoigne d’un intérêt profond pour l’humain. Car même quand il s’agit d’architecture, comme dans Loop Series, son regard vient chercher la présence humaine : une fenêtre ouverte, un rideau levé, des passants…Ces images révèlent également son grand travail d’observation, de recherche en amont et les protocoles stricts que l’artiste s’impose. Elle sort pour photographier, pour capter avec précision les jeux d’ombres et de lumières sur les bâtiments historiques de la ville, toujours à la même heure, dans une quête constante d’équilibre entre hasard et contrôle. « Même quand j’étais en voiture, je notais l’emplacement et l’heure pour pouvoir y retourner », confiera-t-elle dans un entretien.
L’exposition se clôt par un grand mur rose, hommage à son studio, véritable lieu d’expérimentation créative. On y découvre des séries plus tardives comme On The Fence, ainsi que des photographies plus intimes, marquant le tournant vers la seconde partie de sa vie. Cette phase est caractérisée par un travail plus introspectif, que l’on attend avec impatience de découvrir en France. La question reste : quand ?
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- Du 11 septembre 2024 au 6 janvier 2025