Cécilia Jauniau creuse des sillons, explore les interstices du féminin et interroge une histoire visuelle où les femmes sont réduites à des objets contraints et produit une œuvre alliant avec subtilité le dessin et la photographie. Si la peinture a été sa première vocation, elle s’est détournée du medium, au profit d’une pratique transdisciplinaire en accord avec ses préoccupations esthétiques. Avec subtilité elle allie photographie et dessin en y inscrivant son sujet de prédilection : les femmes. Nues, voilées, fragmentées, recroquevillées, impudiques et insoumises. Sa pratique s’inscrit dans l’héritage de l’art féministe amorcé à la fin des années 1960, un héritage assumé et digéré auquel elle ajoute des problématiques sociétales et un intérêt prégnant pour les singularités humaines. « Je m’attache à chaque ‘identité’ (individualité), mais je m’oppose justement à faire des généralités… non pas La femme, mais CHAQUE femme… ». Cécilia Jauniau sonde les différentes facettes de l’intimité féminine en échappant totalement aux images stéréotypées et réductrices du modèle traditionnel. Avec une perspective poétique et critique, l’artiste dénude des femmes sans artifices, affranchies et débarrassées de toute pression extérieure, qui nous livrent à leur tour une part d’elles-mêmes.
Au départ, le dessin et la photographie se rejoignent uniquement sur un plan thématique et conceptuel. Lorsqu’elle réexamine L’Origine du Monde de Gustave Courbet, Cécilia Jauniau nous offre une vision poétique et extrêmement sensuelle du sexe féminin qui est alors envisagé comme un jardin secret où s’épanouissent des fleurs inconnues. L’artiste favorise une déconstruction de la représentation du corps des femmes en y ajoutant une pointe personnelle et subjective. Au fil de ses recherches, elle collecte des images de femmes, aux visages sévères et autoritaires, bardées de chignons rigides et de vêtements spartiates. Des femmes rangées en accord avec un discours dominant qui lui demande d’incarner sa vision de la femme : silencieuse, morale, soumise et exemplaire. Cécilia Jauniau travaille à partir de ces images obsolètes, puis déclenche un processus de libération de ces femmes dont les corps et esprits sont contraints, empêchés et dépendants du regard d’autrui. L’artiste passe outre les prescriptions sociétales et morales, elle déshabille les femmes et révèle leurs lumières, leurs formes, leurs peaux, leurs intimités. Elle se laisse guider par ses instincts qu’elle transpose aux inconnues dont elle veut tout connaître et imaginer.
Alors un nouvel univers s’impose, de nouveaux codes sont possibles, une représentation alternative éclot. Des codes garants d’une liberté absolue, de désirs mis à jours, de silences éloquents et de corps assumés. Le chignon, chevelure domestiquée, devient un sujet à part entière, il est séparé du corps féminin et existe en tant que tel. Il est associé à un élément organique et végétal dont les formes évoquent celles du corps féminin. Le chignon dissimule les visages, qui dans la majorité de ses dessins sont absents, couverts par de longues chevelures, masqués. L’identité importe peu, l’artiste met l’accent sur l’acte, l’émotion, la transformation impudique, ainsi que sur sa relation avec le modèle, qu’il soit réel ou extirpé du passé. Cécilia Jauniau explique : « Ce désir de capter des expressions singulières m’emmène à proposer aux modèles une expérience très personnelle devant l’objectif, j’incite les femmes à réaliser une performance (physique), en déplaçant plus loin leurs
propres limites physiques pour atteindre une nouvelle dimension psychique, vers le lâcher prise. » Elle nous fait entrer dans leur intimité pure et authentique, en fouillant les formes arrondies, les courbures sensuelles, la chair généreuse, sans jamais les idéaliser. L’expérience féminine est traduite en tant que telle, avec sobriété, sensibilité et exigence.
Progressivement le dessin en noir et blanc apparaît comme une extension physique des images en couleur. Des corps fragmentés, débridés et voluptueux, à l’image de ceux présents dans les œuvres d’Hans Bellmer et de Jan Saudek, deux artistes qui ont une influence constructive sur son œuvre. Grâce au feutre, Cécilia Jauniau fusionne avec son modèle et lui apporte une dimension physique. À genou au sol, elle dessine et maintient une position précise et entame une procession graphique obsessionnelle jusqu’à parvenir à certaine forme d’épuisement, de résistance physique. Via un trait réalisé à main levée, maîtrisé et quasi automatique, elle tend au lâché prise expérimenté par ses modèles. Un dialogue charnel et spirituel se crée. Elle s’allie aux corps photographiés pour les remodeler, les augmenter et les métamorphoser. La pâleur des peaux contraste avec le trait noir et délicat de l’artiste. Un trait protecteur qui enveloppe et voile partiellement ces corps trompeusement fragiles. En effet, en acceptant d’entrer au cœur du processus artistique de Cécilia Jauniau, les femmes dévoilées, photographiées et dessinées, nous renvoient une force, une détermination et un abandon rare. Mises à nues elles déploient leur invulnérabilité et leur envie de résistance. Un processus littéralement cathartique à travers lequel l’artiste pénètre dans les arcanes de l’expérience féminine pour en capturer des images audacieuses et précieuses.
Julie Crenn.
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