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Carte Blanche : Mathilde Guiho : L’eau est une flamme mouillée

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L’Œil de la Photographie ouvre le quatrième chapitre de sa nouvelle rubrique avec le soutien de MPB, les « Cartes blanches ». Chaque mois, un photographe français donnera à voir une série inédite de ses mains comme de son regard, s’essayant par là-même à du matériel prêté par la plateforme internationale d’achat, revente et échange de matériel photographique.

Après avoir creusé la beauté des paysages corses avec Cléo-Nikita Thomasson, les Carte Blanche demeurent dans un univers insulaire. Sur l’île Tudy en Bretagne, Mathilde Guiho se penche sur l’ostréiculture de l’île. Avec son Fujifilm GFX 100 prêté par MPB, elle fige un travail physique exigeant comme une relation au vivant, à l’eau, à l’environnement marin puissant.

 

L’eau est une flamme mouillée

Une série de Mathilde Guiho

« À l’automne 2019, je fais la connaissance de Kevin, Nicolas, Pauline et Simon travaillant la culture des huîtres sur la rivière de l’Odet et l’estuaire de l’île Tudy en Bretagne. Rapidement en territoire bienveillant et amical, je reviens régulièrement. Leur lien à leur environnement, l’écoute que cela leur demande et le corps sollicité dans cette démarche me fascinent.

Ayant grandi près de la Loire, je suis consciente de l’effet puissant que peut avoir la présence de l’eau sur nos imaginaires. Depuis plusieurs années, j’articule un travail investissant le lien entre l’eau et l’humain. En quête de matière, je récolte des témoignages : de personnes travaillant avec l’eau, près de l’eau, ou qui ont un rapport avec l’eau puissant et des expériences poétiques, des sons, des évocations de l’eau texturées, colorées.

Peu à peu naît le désir de travailler ensemble, de m’immerger dans le quotidien de ces paysan.nes de la mer, de témoigner autant que possible du lien qu’ils entretiennent avec leurs espaces de vies. Espaces qui leur sont presque hostiles : se déplacer dans la vase est éreintant, les conditions météorologiques peuvent être aussi très fatigantes (le vent, la pluie, l’humidité ou bien même les fortes chaleurs dans un endroit sans aucune ombre). L’océan est oxymore : il bouscule et amène également de la force.

Plusieurs chapitres prennent ainsi forme.

Un premier volet, au plus près des humain.es qui cherchent leurs postures et leur lien à leur environnement. Le mouvement de la marée et du travail qui lui est lié est très esthétique, il rappelle un dessin qui se compose et se recompose à l’envie. J’ai cherché à identifier et à isoler les gestes quotidiens qui forment une chorégraphie. Garder cette attention portée sur un endroit maritime précis. Garder traces visuellement, comme une carte géographique intime.

Un deuxième volet, expérimental qui utilise la matière argentique et l’altération chimique de celle-ci par l’eau de mer. Ces images racontent aussi le phénomène des marées qui va permettre aux huîtres d’être parfois sous l’eau et parfois hors de l’eau. Cette respiration, ce mouvement s’illustre avec cette technique qui s’appelle « soaking » qui veut dire trempage en anglais. L’eau salée laissera une trace, altérera l’image sur le film argentique, preuve du passage de l’océan et métaphore évidente.

Par ailleurs, l’huître est un coquillage qui a un rôle particulier de lien entre l’air et l’eau, de filtre. Les changements de température liés aux dérèglements climatiques lui sont donc bien évidemment impactant. Par ce constat, j’ai fait chauffer l’eau de mer avant d’y tremper les pellicules. Le résultat propose une relecture assez surréaliste des paysages de bords de mer venant ainsi aspirer ou renforcer certaines traces de couleurs. Elles comportent une inquiétante étrangeté, une beauté semblant surgir d’un autre monde et une charge un peu apocalyptique. Elles grincent dans la beauté.

Enfin, la troisième dimension que je travaille est celle du son. En allant faire des repérages avec Kevin et Nicolas, j’ai pris conscience de la portée poétique de certains sons : les bruits des coquillages qui s’entrechoquent, les bruits des poches à huîtres lorsqu’elles sont retournées. Le discours que les deux ostréiculteurs ont sur leur travail est aussi très évocateur. Ils ont un rapport affectif à leurs huîtres et un rapport de soin à la rivière. Travailler la partie sonore permet de mettre en lumière un aspect plus sensoriel.

Inspirée par des matières littéraires comme L’eau et les rêves de Gaston Bachelard, ou encore Racleurs d’Océans d’Anita Conti, je place mon travail à la frontière du documentaire et de l’expérimental. L’eau est une flamme mouillée est l’illustration de cette transversalité.».

 

 

Mathilde Guiho

Née en 1991, Mathilde Guiho vit et travaille à Nantes. Diplômée de l’université de sociologie de Nantes et formée à la photographie par le biais de nombreux ateliers (Rebecca Webb et Alex Webb, Arja Hyytiainen, Martin Bogren), son regard s’intéresse en premier lieu au corps et à sa représentation. Que ce soient ses gestes, postures, frictions et poésies minuscules, le corps est sous son regard un objet « sensible et sensuel ».

Son approche documentaire de l’œuvre se caractérise par un glissement du réel à l’incertitude de la poésie, faisant écho dans les sujets photographiés aux libertés de la danse ou de la musique.

Elle-même à la baguette d’ateliers photographiques auprès de résidents de maison de retraite, enfants et adolescents ou encore détenus, son usage de la photographie tire aussi partie de l’expérimentation. Sa série « Les genoux rouges » utilise le tirage comme une matière première, où le support est gratté, tiraillé, peint tandis qu’elle va, d’une série à l’autre, du médium photographie à l’écriture et l’édition.

Mathilde Guiho est également directrice artistique du festival pluridisciplinaire nantais Matia Mou.

L’artiste comme L’Œil de la Photographie remercie chaleureusement la plateforme de revente de matériel photographique MPB pour son soutien et le prêt du Fujifilm GFX 100 . La rubrique « Carte Blanche » ne pourrait se faire sans leur concours.

 

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