J’ai commencé la photographie au début des années 2000, à la suite d’importantes remises en question dans ma vie. J’ai démarré un journal photographique. Jour après jour, dans une sorte de fièvre, je documentais ma vie, mes proches, mon enfant. Derrière ce désir de créer se profilait un besoin de clarification avec le monde face à une série de situations impossibles à affronter, à appréhender. Je photographie comme un acte de résistance, pour m’opposer à l’oubli, pour accumuler les preuves de mon existence, pour garder les choses que je vis et qui se déliteront un jour. J’avance avec mon enfant à mes côtés, tout en sachant qu’un jour, j’emprunterai seule le chemin, qu’il faudra le laisser aller de son côté et ne pas être triste de cela. La question est : comment, sans regret, apprendre à tout perdre ? Comme dans un travail analytique, je cherchais à explorer des pistes autres que celles de la parole pour libérer mon passé et son cortège d’émotions et je pensais que je pourrai trouver un élément de réponse dans l’observation des photographies de mon enfance.
J’ai commencé à m’intéresser à mes photographies de famille, lorsqu’en feuilletant l’album de mon enfance, je me suis sentie submergée par une angoisse dont je n’arrivais pas à déterminer l’origine. Ces photographies prises il y a 40 ans, ces moments fixés sur du papier, me représentent, parlent de moi, de ma famille, et disent des choses sur la question de l’identité, de ma place dans le monde, mon histoire familiale et ses secrets, les peurs qui m’ont construites et tout ce qui me constitue aujourd’hui.
Telle une archéologue, j’exhume des albums de famille et des boîtes à chaussures pleines de photographies les images où je figure. Je les classe, les numérise et les imprime. Je n’interviens pas directement sur la photographie originale. Je transpose cette réalité sur un papier différent, je recadre parfois un détail qui m’interpelle et je choisis mon format. Une fois ces choix définis, je commence à raconter ma version des faits avec la broderie et le perlage. Le fil est un élément autobiographique car je suis diplômée de l’Ecole de la chambre syndicale de la couture parisienne et que j’ai travaillé en tant que styliste pendant 10 ans. La broderie est également étroitement liée au milieu où j’ai grandi, ou c’est l’activité réservée aux femmes parfaites. Cette activité n’a rien de subversif, mais je la pervertis par mon propos. Je me sers de ces artifices faussement décoratifs pour réinterpréter mon histoire et en dénoncer les travers. Percer le papier avec une aiguille est une sorte d’exorcisme. Chaque trou est une mise à mort de mes démons. J’utilise un fil rouge, qui est mon fil d’Ariane. Il me conduit dans les dédales de mon histoire passée. Le rouge est la couleur des émotions violentes, c’est la couleur du sang, du mauvais sang, c’est une couleur également liée à la sexualité. Les perles choisies pour leur brillance et leur fragilité accentuent le côté décoratif et créent un décalage.
L’écriture intervient également. Elle accompagne la photographie. Elle est comme une clé qui permet de déchiffrer le mystère. Ce travail lent et précis est la métaphore d’une fabrique minutieuse de soi et du temps qui passe.
La collecte d’images du projet Photos Souvenirs couvre une période s’étalant sur 35 ans, allant de ma naissance et s’arrêtant au moment où j’ai commencé à documenter ma vie, au début des années 2000.
La série comporte trois parties : l’enfance marocaine, l’adolescence et l’âge adulte avec le mariage et la maternité.