Ce livre est formidable. Il est le fruit d’une amitié rare entre une photographe et une actrice. Carole Bellaïche la raconte ainsi.
Je suis en train de fouiller dans mes boîtes depuis l’année 1993 pour retrouver les images d’Isa, comme je l’appelle depuis bien longtemps, et je me dis souvent que j’ai beaucoup de chance d’être tombée sur elle, puisque au bout de ces vingt-cinq années de travail ensemble, plus ou moins éparpillées, nous avons encore l’occasion de continuer notre « projet », ces photos qu’on appelle « pour nous », toutes ces images qui vont raconter une histoire, et qui sont dans ce livre. L’histoire d’une obsession, obsession pour moi de collectionner les images, et obsession pour elle de rentrer dans un cadre peut-être ?
Ce livre sur et avec Isabelle Huppert est une évidence pour moi depuis notre première rencontre. J’aurais envie de dire qu’avec elle, j’ai trouvé le modèle idéal: complice, joueuse et extrêmement présente. Une grande actrice, d’une rare singularité, qui ne se lasse jamais de ces moments de prises de vue, avec qui tout est possible, et qui par une étrange faculté change sans changer vraiment. Son visage qui m’est si familier maintenant, me surprend toujours, me séduit, me comble dans cette recherche permanente et obsessionnelle de l’idéal, et de la beauté.
Je vis cette histoire comme une passion, où à chaque séance photo, chaque moment et chaque voyage, je la retrouve, ni tout à fait elle-même, ni tout à fait une autre. J’ai toujours ce désir de la photographier, et de faire de nouvelles images d’elle comme une gageure, la réinventer d’un côté, et la montrer telle qu’elle est de l’autre. Nous avons d’ailleurs toujours recherché cette ambiguïté-là, inventer des images de toute sorte est notre grand jeu, là est notre complicité.
La première fois que je l’ai approchée, c’était grâce aux Cahiers du cinéma, avec lesquels je travaillais depuis peu. Ils m’ont emmenée à Lausanne, où elle répétait Orlando. Les Cahiers réalisaient un entretien avec elle. La toute première photo que je s donc d’Isabelle Huppert, actrice, est la photo sur scène d’un très bel homme, dans la lumière géométrique d’une précision absolue de Bob Wilson – elle était Orlando. Un homme au départ, qui devient par magie femme, un personnage troublant qui enjambe le réel et le temps. Comme elle en quelque sorte. Le lendemain nous nous sommes saluées, au moment de l’entretien avec le journaliste, et nous avons fait quelques photos dans le grand jardin de l’hôtel. Ce fut tout.
C’est l’année d’après que nous nous sommes vraiment connues quand elle pré- parait son numéro « spécial rédactrice en chef ». Cela faisait deux ans que je travaillais aux Cahiers du cinéma, une période riche de rencontres passionnantes. Je devais faire une photo d’elle avec Claude Chabrol dans un hôtel à Paris.
J’ai vite compris, par la complicité qu’elle me témoignait ce jour-là, que cette rencontre allait être particulière. Je ne me suis pas trompée.
Ce fut évidemment un coup de foudre pour moi, surtout quand elle m’appela, un beau matin, pour me demander de la photographier en Marlène Dietrich car Louis Malle voulait faire un lm sur Marlène; le projet a nalement été abandonné, mais nous avions nos photos. C’est alors que notre longue histoire a commencé.
Depuis toutes ces années, je n’ai cessé de photographier Isabelle Huppert. Chaque série est un moment différent, elle se transforme, elle est une autre, elle nous échappe, mystérieuse et quotidienne. Cette rencontre m’a révélé peu à peu le rapport d’Isabelle à la photo, une histoire aussi forte qu’avec le cinéma ou le théâtre, mais quotidienne et instantanée. Isabelle adore la photo, l’objectif de l’appareil, son miroir. Elle aime les photographes, je dirais même qu’elle les utilise à sa façon. Je me dis souvent, possessive comme je suis, qu’elle les aime trop.
Ce livre raconte notre relation photographe-modèle, mais aussi l’ascension d’une star. Très reconnue quand je l’ai rencontrée, elle est devenue une icône. Elle est avant tout, depuis toujours, une immense actrice déroutante par son intelligence et son jeu. Elle sait, je pense, qu’elle détient une sorte de vérité. Quand on la croise dans la rue, on ne la reconnaît pas, ou à peine.
J’ai toujours essayé de comprendre le mystère de la star, de l’idole, c’est une recherche qui me passionne. Qui est Isabelle Huppert? Un mythe, une femme modèle, une muse pour beaucoup, et une héroïne de notre temps.
J’ai maintenant envie de rendre publiques ces images, pour la plupart jamais dévoilées.
Carole Bellaïche 2019